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L'art de la conversation

S’il y a bien une activité sociale qui fut portée au pinacle dans l’histoire française, c’est la conversation. Chez nous, à partir du XVIIe siècle, elle désigne la qualité de tout homme bien né, capable de parler avec grâce, finesse et amabilité. En toute chose, le Français aime séduire. Ce qui paraît de prime abord superficiel est amené dans notre tradition nationale jusqu’à un point de perfection qui en fait un authentique patrimoine culturel. La langue n’est plus alors un vulgaire outil destiné à la communication, elle devient une manière d’être.

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On peut l’affirmer sans impertinence, les Français sont presque seuls capables de ce genre d’entretien. C’est un exercice dangereux, mais piquant, dans lequel il faut se jouer de tous les sujets », disait Germaine de Staël (dite « Madame de Staël »)1. Art du langage bien particulier, la conversation n’est ni le dialogue, ni la discussion, ni le débat, ni encore moins le bavardage ou le commérage. Dialogue, discussion et débat sont en effet des échanges de type argumentatif alors que la conversation n’a pas pour but d’échanger des arguments pour défendre ou critiquer une thèse, mais de parler, en quelque sorte, pour le plaisir, sans volonté de convaincre l’autre de quoi que ce soit, pour apprendre, pour instruire, pour rire, etc., le tout dans un cadre de confiance et d’amitié. De même, on attend de la conversation une certaine « tenue » qui défend de l’assimiler au simple bavardage, associé à la futilité et à l’idée de perte de temps ou au commérage, qui suppose de relayer des rumeurs malveillantes sur autrui. La conversation requiert ainsi à la fois le plaisir, la tenue et une certaine utilité qui passe par le plaisir d’instruire et d’être instruit (ce qui fait qu’on va dire que quelqu’un « a de la conversation »).

LA CONVERSATION AU COURS DU GRAND SIÈCLE

La notion même de « conversation » est associée à la France de l’âge classique, surtout aux XVIIe et XVIIIe siècles. Selon Benedetta Craveri, auteur d’un livre de référence sur le sujet2 , la conversation naît sous le règne de Louis XIII (à partir de 1610) et meurt avec la Révolution française en 1789. Elle coiffe donc effectivement l’ensemble de ces deux siècles. L’essor de la conversation au début du XVIIe siècle correspond à un moment où la noblesse, ayant pris ses distances avec la guerre et avec la politique d’où...