Entre 100 000 et 150 000 jeunes sortent chaque année du système éducatif français sans formation ou qualification. D'année en année les effectifs grossissent pour constituer aujourd'hui environ 1,5 million de jeunes sans formation ni diplôme. Ils sont appelés les NEET pour « Not in Education Employment or Training ». Ils représentent en France 13.5% des 15-29 ans.

Des causes connues

Les causes sont connues : un déficit d’éducation et de compétences de base. Parmi les différents facteurs susceptibles d’expliquer le risque d’être NEET, le niveau d’éducation occupe un rôle central. En 2019, 36,9 % des jeunes européens de 20 à 34 ans peu ou pas diplômés se retrouvent en situation de NEET, contre 14,3 % des jeunes ayant atteint l’enseignement secondaire supérieur et 9,6 % de ceux ayant atteint l’enseignement supérieur. Même si le taux de NEET varie sensiblement entre les pays européens, un faible niveau de formation initiale accroît systématiquement le risque de se trouver dans cette situation.

Un déficit des compétences de base permet d'expliquer pour une part importante l'inemployabilité des personnes en situation de NEET. Il se vérifie également si l’on se focalise sur les jeunes sortis du système éducatif : pour l’ensemble des pays et au sein de chacun d'entre eux, un niveau minimal de compétences protège contre le risque d’être NEET. Parmi celles-ci, la littératie, la numératie et les compétences cognitives occupent une place centrale, car elles sont souvent nécessaires pour accéder à d’autres compétences et facilitent l’accès à la formation tout au long de la vie.

Dans la période actuelle où la révolution industrielle en cours demande des gens de plus en plus qualifiés, laisser sortir chaque année plus de 100 000 jeunes de l’école sans aucun diplôme est dramatique pour les intéressés. Mais c'est aussi un drame économique qui nous coûte très cher.

Pour Emmanuel Combe, Professeur de sciences économiques à l’Université de Paris-1 et professeur affilié à ESCP Europe, « lutter contre le décrochage scolaire n’est pas seulement affaire de morale ; c’est aussi une question économique ». En effet, avance-t-il, cette problématique représente deux types de coûts conséquents :

● « Un coût en termes de croissance perdue : le manque de qualification se traduit par une productivité plus faible et des coûts de changement d’emploi plus élevés ; difficile par exemple d’implanter un nouveau robot sur une chaîne de production lorsque les salariés ne disposent pas des compétences minimales que l’école délivre. »

● « Un coût budgétaire ensuite : 50 % des jeunes sans diplôme se retrouveront au chômage ou en situation de forte précarité, à moins qu’ils ne sombrent dans la délinquance… qui est elle-même très coûteuse. Le coût du “décrochage scolaire précoce” serait de 1 à 2 millions d’euros par personne quittant prématurément le système scolaire, somme calculée sur la totalité de la vie active. »

En France, avec 13.5% des jeunes de 15 à 29 ans en situation de NEET, si on compte 800 000 jeunes par année de naissance cela donne : 13.5% x 800 000 x 15 = 1 620 000. Soit environ 1,5 million de jeunes. Ainsi, en France, avec 1,5 million de NEET, cela représente au minimum 1,5 milliard d’euros, soit presque le montant de la dette de la France avant le Covid.

Selon le rapport Eurofound de 2012, le coût annuel en France pour la collectivité d'un NEET se situe, en 2012, entre 15 000 et 20 000 €. Avec cette hypothèse de coût annuel par jeune de 20 000 €, le coût annuel total est de l'ordre de 30 milliards d’euros par an.

Nous cherchons à réduire les dépenses publiques et donc le principal poste, les dépenses sociales. Voilà une voie qui, au lieu de couper dans les aides sociales, en remettant à l'endroit le système éducatif conduirait à diminuer drastiquement le nombre de personnes laissées au bord du chemin sans grand espoir de s'en sortir, et donc les dépenses sociales associées.

Est-ce utopique ? Non. Des pays font beaucoup mieux que nous :

Nous pouvons raisonnablement nous donner l'objectif de diviser par deux le nombre de NEET en France. Nous reviendrions alors au niveau de l'Allemagne ou de la Suède. L'économie serait alors de l'ordre de 15 milliards d’euros par an !

Comment faire ? Retrouver l'ambition de la réussite de tous les enfants dès la petite enfance. De nombreuses actions mettant en œuvre l'application des grands principes de l'apprentissage humain dès la maternelle et dans le primaire ont démontré que c'était possible. Ce n'est qu'une affaire de volonté. Beaucoup d'enseignants ont cette volonté et l'ont montrée sans nécessairement mettre en œuvre beaucoup de moyens et souvent sans grand soutien de leur hiérarchie.

La réussite de cette action dépend essentiellement de la volonté des enseignants de s'y engager à fond et de la réussir. Je propose donc de leur restituer la moitié de ces économies. En répartissant donc ce gain annuel équitablement entre l'Etat et les enseignants, 7.5 milliards reviendraient à l'Etat pour la réduction du déficit public et de la dette, et 7.5 milliards seraient redistribués aux enseignants soit environ 7 500€ par an et par enseignant pour une population d'un million d'enseignants.

On pourrait aussi imaginer une politique incitative en récompensant plus selon les résultats et en investissant massivement dans l'acquisition des compétences de base (lire, écrire, compter) dès la petite enfance.

Réduire drastiquement le nombre de NEET est donc bien autant une affaire de morale, que de vies "sauvées", mais aussi d'efficacité économique. C'est aussi l'affaire de tous.

Christian PASCO

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