Rutebeuf : la modernité d’un mécontemporain
La lecture de Rutebeuf est revigorante: bien des Français se reconnaitraient aujourd’hui dans les termes du poète du XIIIè siècle. Résumé en quelques traits de vers inépuisables.
«Que sont mes amis devenus, que j'avais de si près tenus, et tant aimés, ils ont été trop clairsemés», chantait Léo Ferré déterrant Rutebeuf, brillant esprit snobé depuis Saint Louis. Du grand poète du XIIIème siècle, nous savons ce qu'il a bien voulu nous dire. Versificateur car ne sachant rien faire d'autre, prétendait-il, le rude bœuf travaillait d'arrache-pied pour vivre de sa plume. Déjà dans sa jeunesse étudiante, ce latiniste est blessé par les «plaies du monde» : «le monde a tant changé qu'un loup blanc à mangé tous les chevaliers loyaux et vaillants. C'est pourquoi le monde a perdu de sa valeur» (1). Jeune mais déjà nostalgique du monde d'antan.
Des vers d'une remarquable actualité
L'année suivante, celui qui n'échapperait sans doute pas à l’étiquette de réactionnaire de nos jours en remet une couche dans un poème d'attribution discutable mais dont le style lui ressemble fort: «le monde était bon, maintenant c'est différent, car personne ne sait plus travailler au bien d'autrui s'il ne pense pas y trouver son profit» (2). Nostalgie des héros passés: «la chevalerie [qui] est aujourd'hui désorientée: je n'y vois ni Roland ni Olivier» (3). Nostalgie des temps passés: «c'est que le monde a bien changé: le bien lui est devenu étranger» (4).
Dans les années 1250, une querelle bouillonne entre les maîtres séculiers de l'Université de Paris et les Dominicains - dénommés Jacobins en France. Rutebeuf prend clairement parti pour les premiers et vilipende l'ingratitude des prêcheurs invités - qui ont en plus saboté une grève des maîtres. Quatre siècle avant Molière, il voit des tartuffes dans ces esprits qui se targuent d'humilité mais qui sont «en guerre pour une école où ils veulent enseigner de force». Dans La Discorde des Jacobins et...