Revue

La solitude de l’agriculteur face à l’indifférence de l’État

DEBATS. Être agriculteur aujourd’hui relève du chemin de croix permanent. Livré à lui-même, éloigné de tout, broyé par la paperasse, il doit composer avec les caprices d’une administration centrale qui lui rend le quotidien impossible. Un texte dans l’esprit du second numéro de notre revue Front Populaire, consacré à l’État profond.

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Nous l’appellerons Baptiste. Nous lui donnerons quarante ans. Cet agriculteur vit dans un petit village du haut pays où l’on compte encore cinq feux contre plus de cinquante au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Pour arriver jusqu’ici, il faut bien sûr emprunter le réseau dit « secondaire ». Tout un symbole.

Ce matin-là, les difficultés ont commencé à cause de la bétaillère, ou plutôt de la carte grise qu’il fallait refaire en utilisant l’Internet pour obtenir ce genre de document, dématérialisation oblige. Mais impossible, faute de réseau. Baptiste remet cette tâche au lendemain et pose ce dossier au-dessus de tous ceux qui s’empilent déjà au bout de la toile cirée, entre la corbeille à fruits et les lunettes du père.

Le père, justement, qui tousse depuis une semaine, a de la fièvre et ne s’est même pas levé ce matin pour promener le chien. Baptiste appelle le médecin, le seul qui exerce dans le canton à trente kilomètres de là. Le téléphone ne passe pas. Dehors, le temps menace, la météo prévoit de la neige pour ce soir.

Difficile de vivre quand on est loin de tout

Le père se résout alors à monter dans la voiture… Il voit l’église, le monument aux morts avec une vingtaine de noms serrés les uns contre les autres, l’école qui a fermé en 1962, le bistrot qui n’ouvre plus que le dimanche matin pour la partie de cartes. Il regarde défiler son temps et il sait, en posant ses grosses mains rouges sur ses genoux, qu’il va devoir lâcher prise. Il sait qu’elles se refermeront bientôt sur un drap d’hôpital. Ce qu’il n’avait pas imaginé c’est qu’il allait laisser derrière lui non pas une histoire, mais une illusion.

Au bout de cinq ou six kilomètres, à cause de la pluie, d’un cerf ou de...