La vie est-elle une science ? Si les lois physiques ne tombent jamais malades, il est tentant d’y recourir pour assurer la santé du plus grand nombre. Quand il s’agit de soixante-sept millions de Français à guérir ou protéger, la santé s’érige en norme indépassable depuis laquelle s’exerce l’art de gouverner. On appelle cela la « biopolitique » : un pouvoir qui ne cherche plus à mettre à mort — prérogative ancienne de sa domination — mais qui cherche désormais à laisser vivre au prix de la circonscription des pratiques et de la protection aux dépens de l’individu, à coup de statistiques et de calculs. La santé se traduit alors par le respect d’une moyenne chiffrée du fonctionnement biologique, faisant fi de la complexité des rapports entre un individu biologique et le milieu dans lequel il évolue.

On ne peut relire sans se pincer, les pages que Canguilhem consacre à la conception du normal, qui soutient la pratique médicale contemporaine, chiffrant la pathologie au regard d’une normalité équivalente à la norme. Dans le langage du profane, il faut entendre que la santé pour Canguilhem ne peut simplement se définir par le respect d’une moyenne chiffrée du fonctionnement biologique — équilibre bien trop précaire pour se résumer à la statistique. Le chiffre n’est-il pas l’ennemi du déchiffrage ? D’où le recourt à un néologisme, un concept dirait Deleuze en bon philosophe, celui de « normativité ». Le mot était trouvé dans Le Normal et le Pathologique pour désigner la capacité d’instaurer de nouvelles normes vitales dans des situations inattendues. N’est-ce pas cela, la santé ? Une capacité à s’adapter à son environnement et à ses conditions changeantes ?

Un tel concept donne une autre couleur au mot « pathologie », déclarant malade tout individu incapable de créer de nouvelles normes de vie. Avec bien plus d’élégance, Canguilhem nous dira que « L’homme normal,...