Le système éducatif est l’un des sous-systèmes essentiels des États modernes. Comme l’a bien souligné Peter Sloterdijk, la réussite démographique de l’État lui pose en même temps un problème. Comment gérer le surplus de jeunes qui déborde les capacités éducatives des familles ? « La politique démographique orientée vers une croissance inconditionnelle aboutit à ce cercle vicieux typique de la modernité dans lequel la surproduction humaine irrésistible (…) entraîna une surchauffe massive des potentiels éducatifs dans les familles (…). Afin de lutter contre cette anomalie, on commença le plus souvent, pour des raisons évidentes, à faire appel au système scolaire moderne. » (Tu dois changer ta vie.)

Mai 68 peut se comprendre comme un point de surchauffe maximale dans la capacité du système scolaire à s’adapter aux défis d’une éducation de masse. Les facteurs démographiques et éducatifs sont essentiels pour la compréhension des événements de mai, dont les acteurs principaux vont être les étudiants et les lycéens, encadrés par des militants révolutionnaires. Les acteurs de 68 sont les fameux boomers issus de l’explosion de la natalité après 1945. En 1958, la jeunesse scolarisée dans le secondaire a déjà doublé et s’accroîtra encore de 65 % entre 1959 et 1964. L’enseignement supérieur devra accueillir tous ces nouveaux bacheliers et le nombre d’enseignants sera multiplié par dix, passant de 2 500 en 1945 à 25 000 en 1963. Comme le note François Dosse dans La Saga des intellectuels français (2018) : « En 1965, le nombre d’étudiants explose pour atteindre 120 000 à Paris et 440 000 dans l’ensemble du pays. » Parallèlement à cette massification se développe la pénétration d’une idéologie gauchiste et révolutionnaire chez les étudiants comme dans leurs syndicats. Une lecture de classe de la condition étudiante se développe. Les situationnistes de Guy Debord se font remarquer par une brochure publiée en 1967 :...