« Delenda Carthago », Caton l’Ancien

L’anecdote est connue, mais je souhaiterais commencer par elle. À la soutenance de thèse du philosophe Julien Freund, en 1965, un magnifique penseur politique français bien oublié, un échange a lieu avec Jean Hyppolite. Freund a développé les catégories empruntées à Carl Schmitt d’ami et d’ennemi en politique, ce qui avait eu l’heur de déplaire à Jean Hyppolite qui lui avait dit : « Sur la question de la catégorie entre l’ami-ennemi, si vous avez vraiment raison, il ne me reste plus qu’à aller cultiver mon jardin. » Ce à quoi Freund lui répond qu’il commet une erreur : « Vous pensez que c’est vous qui désignez l’ennemi, comme tous les pacifistes. Du moment que nous ne voulons pas d’ennemis, nous n’en aurons pas, raisonnez-vous. Or c’est l’ennemi qui vous désigne. Et s’il veut que vous soyez son ennemi, vous pouvez lui faire les plus belles protestations d’amitié. Du moment qu’il veut que vous soyez son ennemi, vous l’êtes. Et il vous empêchera même de cultiver votre jardin. » Réponse d’Hyppolite : « Dans ce cas-là, il ne me reste plus qu’à me suicider. » Raymond Aron dira à Jean Hyppolite, prototype du professeur couronné de lauriers académiques, dont le Collège de France et la direction de l’École normale supérieure dont il venait comme Sartre, Canguilhem et Aron qui étaient ses condisciples : « Votre position est dramatique et typique de nombreux professeurs. Vous préférez vous anéantir plutôt que de reconnaître que la politique réelle obéit à des règles qui ne correspondent pas à vos normes idéales. » L’hégélien Jean Hyppolite croyait plus au Concept qu’à la réalité du monde, une pathologie très germanopratine aux conséquences éminemment funestes. Il avait tort, mais ne s’est pas suicidé pour autant.

Nous sommes en septembre 2014. L’État islamique annonce dans un communiqué, via Abou Mohammed Al-Adnani, porte-parole dudit État : « Si vous...