C’est au cours élémentaire que le « petit Jacques » - c’était son surnom vite transformé en Jacquot - se trouve pour la première fois en face d’un appareil lumineux. J’appris plus tard que cet appareil s’appelait un cartoscope (fabriqué à Bordeaux sous la marque Panoptic).

En 1932, on appelait clerc, le maître d’école et après 1945, l’instituteur. En patois cela donnait « Ch’clerc…. », c’était un personnage estimé et respecté.

Cet outil pédagogique, pour parler pédant comme aujourd'hui, était une visionneuse de cartes postales d’environ 40 cm sur 40 cm en bois et carton de couleur rouge sombre. Sur le devant, une énorme loupe (verre grossissant disait-on). Le fond permettait d’insérer une carte postale représentant des sites géographiques. Les caps, golfes, montagnes, plaines et collines n’avaient plus de secrets pour les petits élèves fascinés qui se succédaient par groupe de trois ou quatre. (26 ans plus tard, lors d’un premier voyage à travers la France, furent reconnus d’emblée les paysages merveilleux de la belle France que nous décrivait si bien un maître d’école en avance sur son temps).

Un an plus tard : comme dans un conte

Il était une fois un petit garçon qui allait pour la première fois au patronage. C'était à Marles dans le Pas de Calais près de la boulangerie de sa trisaïeule.

Une grande cour permettait aux enfants de courir et de jouer. Le dimanche dans une petite salle paroissiale attenante étaient projetés des films muets. Il fallait changer les bobines toutes les 10 minutes et l'appareil faisait un bruit de machine à coudre. Mon oncle André était l'opérateur. L'écran fascinait grands et petits.

Plus tard à 10 ans, il se retrouvait dans un autre patronage (Auchel) et le jeudi une projection avait lieu après les jeux de l'après-midi. La séance commençait souvent par la projection de films fixes de Tintin et Milou. C'étaient des films à épisodes en noir et blanc dont il fallait lire les légendes. Chaque semaine nous attendions la suite avec impatience. L'appareil, assez rudimentaire, est assez petit pour se mettre dans une poche. Il ne protégeait pas bien le film, qui parfois collait sur la glace qui servait de presse film.

La fascination qu'exerçaient ces projections l'incitait à aller admirer souvent dans une vitrine éloignée d'environ 1 km un appareil de projection fixe qu'il aurait bien voulu acheter. Alors avec une lampe de poche et des bouts de film que l'on offrait en prime avec des bonbons, il s'ingéniait à jouer à l'opérateur dans la cuisine devant ses sœurs.

Ce petit garçon, c'était moi.

Bien plus tard en 1946, devenu instituteur à Wizernes près de Saint-Omer, il espérait bien un jour pouvoir enseigner la géographie à ses petits élèves en leur montrant par projection les sites géographiques qu'il décrivait.

Il avait une épouse adorable, qui l'encourageait dans son travail et, se mettant au travail sur la machine professionnelle qu'elle possédait encore, elle lui fit la surprise de lui offrir un projecteur de film fixe.

C'était un magnifique cadeau dont il rêvait depuis son enfance, cadeau qu'il lui servira des années dans sa vie professionnelle et aussi parfois dans les petites séances qu'il organisait pour leurs propres enfants. Les films qui accompagnaient l’appareil concernaient les cours de géographie générale des cours élémentaires.

Cet appareil efficace, le plus simple, le plus robuste et le plus silencieux qui servit partout en France dans les patronages et les écoles s'appelle :

la « CAMERAFIX »

Le voici avec sa notice. Témoin précieux d’une époque où l’amour d’une épouse a permis à son jeune instituteur de mari d’être à l’avant-garde dans une école à la campagne. C’était en 1945.

Cet appareil était le LUX 113. Il est aujourd’hui dans ma collection. Il m’aide à me remémorer une enfance qui s’épanouissait dans l‘attrait de la projection et du cinéma. Moments magiques qui ont façonné des générations de cinéphiles.

Dans cette histoire, il y a une suite et une fin, comme dans les contes de fées.

Pendant des années, parcourant et participant à des brocantes spécialisées dans le cinéma, furent interrogés des collectionneurs, des brocanteurs amateurs et professionnels. Ce cartoscope n’était même plus dans les mémoires.

Et puis un jour, le progrès aidant, vint internet, les serveurs et une multitude d’informations lancées dans les nuages grâce au soin de « petites mains » qui introduisent des « données », comme on dit, en gros et en détail. Le hasard, ce petit dieu malin - à moins que ce soit St Antoine qui, comme chacun sait, est réputé pour aider à retrouver ce que l’on a perdu -, vint à mon secours.

Une personne d’une commune de Bourgogne détenait le fameux cartoscope recherché depuis 85 ans ! Ma réponse fut immédiate : j’achetais cette relique plus précieuse pour moi que le plus beau des Rodin. Imaginez l’émotion au déballage du colis développé avec des gestes ralentis par l’émotion : il était là, rutilant, en parfait état, comme je le voyais avec mes yeux d’enfant de 6 ans. C’était il y a si longtemps. Une vie ! Depuis, il trône « fier comme Artaban* », roi de ma collection et évocateur de tant de visages partis rejoindre tous ceux qui sont restés… des enfants.

*il s’agit du personnage imaginaire du roman « Cléopâtre », d’un certain La Calprenède

Jacques MARQUETTE

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