Le 27 mai 2021, Emmanuel Macron prononçait un discours solennel à Kigali. Dans l’enceinte du Mémorial du génocide des Tutsis, il appelait à une « alliance respectueuse, lucide, solidaire et mutuellement exigeante entre la jeunesse du Rwanda et la jeunesse de France ». Las. Derrière ces paroles sympathiques, le Président français affichait en réalité sa soumission aux desiderata de son homologue rwandais, Paul Kagame. Une complaisance pour le moins fautive envers un dirigeant qualifié de dictateur dans nombre de chancelleries occidentales.

Mais tout d’abord, un petit retour en arrière s’impose : en 2008, deux ans après avoir rompu ses relations diplomatiques avec la France, le régime de Kigali diffusait une liste de personnalités politiques et de militaires français supposés complices du génocide rwandais de 1994. Cette liste venait d’être dressée par une commission indépendante locale, dite Mucyo, du nom de l’ancien garde des Sceaux rwandais Jean de Dieu Mucyo, qui la présidait.

Une fois parvenu à l’Élysée, Emmanuel Macron fit pourtant comme si cette liste infamante n’existait pas. Il s’arrangea ainsi dès 2018 pour que Louise Mushikiwabi, une femme politique rwandaise, ministre de la Communication puis des Affaires étrangères qui ne parlait pas français, devienne secrétaire générale de la Francophonie. Manière à peine voilée d’acter l’influence américaine dans la région des Grands lacs. Seulement, sourde à ce signe inquiétant délivré par une diplomatie sous influence, la presse française préféra saluer un premier pas vers la normalisation des relations entre Paris et Kigali.

Le rapport Duclert

Poursuivant en ce sens, Macron constitua ensuite une commission dite Duclert (du nom de son président, l’historien français Philippe Duclert), qui lui remit son rapport le 26 mars 2021. Le Président fit le voyage à Kigali pour le remettre en mains propres à Paul Kagame. Il ne restait dès lors plus à Macron qu’à passer à l’étape finale, en reconnaissant le 27 mai 2021, lors de son discours de Kigali, que la France avait eu « une responsabilité politique au Rwanda ».

Or, le rapport Duclert, comme celui commandé par le Rwanda à un cabinet américain, aboutissent à la même conclusion : aucune faute pénale, aucune participation directe ou indirecte ou de complicité au génocide ne peut être imputée à la France. Des erreurs d’appréciation et un aveuglement coupable sont certes pointés, mais au prix de nombreuses inexactitudes puisque contrairement à ce que ces rapports prétendent, c’est bien parce que la France avait précocement anticipé le risque sérieux de génocide qu’elle a mis en place les accords d’Arusha et obtenu le désarmement des factions rivales.

C’est d’ailleurs ce que Christian Quesnot, qui était chef de l’état-major particulier du président de la République François Mitterrand au moment du génocide, rappela dans un entretien à L’Obs en mai dernier, lui qui a fait condamner comme diffamatoire l’ouvrage Complice de l’inavouable : la France au Rwanda de Patrick de Saint-Exupéry, dans lequel il est accusé de complicité. Ce général d’armée n’en reste pas moins abondamment cité par les rapports français (160 occurrences sur 1 000 pages) et américain (380 pour 630 pages), endossant ainsi le statut de bouc émissaire malgré son long et fructueux combat pour faire condamner par les juridictions les accusations de génocide portées contre la France.

Pourquoi diable Emmanuel Macon a-t-il rompu dans ce dossier avec la position de ses prédécesseurs, qui n’ont jamais cédé aux pressions de Kigali ? Sans doute pour stigmatiser la politique mitterrandienne et, soutenu en cela par une presse amnésique et aux ordres, pour entraîner son électorat vers un désaveu des engagements historiques de la gauche socialiste en Afrique. Une équation difficile à réaliser pour Macron, entre reconnaissance de responsabilité et esquive à la sauce du « en même temps ». Sa position en dit long sur son rapport au langage en général et à la parole politique en particulier, évidée de toute portée, car sans conséquences juridiques.

Dans les transactions intervenues entre Paris et Kigali s’est ainsi échangée une reconnaissance politique contre la garantie, précaire, du renoncement de Kigali à des poursuites pénales dirigées contre les décideurs français de 1994. De ce point de vue, cette repentance participe à ébranler la parole politique, car elle constitue une réécriture de l’Histoire sans fonder pour autant les principes d’une responsabilité juridique.

Sur le plan des reconnaissances mémorielles, tout se passe comme si Emmanuel Macron était à la recherche d’une équivalence avec les paroles prononcées par Jacques Chirac sur la responsabilité de la France dans la Shoah lors du discours du Vél’d’Hiv en 1995. Tel un « petit autre », mimant une sorte de posture historique toutefois dépourvue ici de consistance, le jeune Président participe toujours plus à la désymbolisation de l’État. Ses repentances, arrangements et concessions, ont des conséquences considérables, en premier lieu à l’égard des militaires français qui, traités de complices d’une faute criminelle, sont fragilisés et suscitent de la suspicion sur tous les engagements des armées françaises en Afrique.

Le pire est qu’au-delà de ces concessions, Emmanuel Macron, otage d’une surenchère qu’il n’a pas vu venir, est contraint de tolérer, dans les médias français, que la France, les démocraties occidentales et l’état de droit soient insultés par Paul Kagame. En mai 2021, lors de sa présence sur le territoire français et sans même attendre la fin de la séquence de réconciliation, le Président rwandais s’est cru autorisé à affirmer dans les colonnes du Monde que le rapport Duclert ne liait que la France et qu’il ne faisait pas siennes les conclusions pourtant déjà outrancières qui y sont contenues.

Toujours dans cet entretien, Paul Kagame indique que la responsabilité de la France reste à ses yeux une question ouverte, car, dit-il, si « la complicité n’a pas été retenue, cela signifie peut-être qu’il reste du travail à accomplir ». Mais, ajoute-t-il, « nous avons un autre rapport (américain) qui va plus loin et indique une forme de complicité ». Une affirmation fausse, qui permet toutefois au Président rwandais de maintenir ses accusations selon lesquelles la France aurait « formé et payé des soldats gouvernementaux et des milices qui allaient commettre le génocide ». Le tout sans réaction de la part ni de Macron ni du gouvernement ni même de la presse française, trop pressés de célébrer la réconciliation, même au prix d’une imposture.

Après avoir affirmé que les décès de dissidents en détention dans son pays ne sont pas différents des accidents mortels dans les commissariats français, Paul Kagame, interrogé sur France 24 au sujet de l’enlèvement de l’opposant Paul Rusesabagina en août 2020, a même osé asséner en guise de réponse un sidérant : « Qu’y a-t-il de mal à piéger un criminel ? » C’est là que la politique de reconnaissance par Emmanuel Macron d’une responsabilité de la France trouve ses limites, car inscrite dans une série d’événements très peu rapportés par la presse française, comme par exemple la destitution récente du ministre de la Justice rwandais, coupable aux yeux du régime d’avoir confirmé que son gouvernement avait financé l’enlèvement de Paul Rusesabagina ; ou le décès de son prédécesseur Jean de Dieu Mucyo (celui-là même qui est l’auteur du rapport ayant appelé à des poursuites pénales contre la France) qui, après avoir fait savoir son opposition à la modification de la constitution permettant à Paul Kagame de se maintenir au pouvoir, fit une chute malencontreuse et fatale dans l’escalier du Sénat de Kigali.

Marché de dupes

La réconciliation fait encore fi de la mort suspecte du rappeur Jay Polly, décédé en détention « dans des circonstances indéterminées » ou de celle du chanteur de gospel Kizito Mihigo, survenue en février  2020. Sans même parler des assassinats d’opposants et de témoins au fur et à mesure des progrès de l’instruction menée par les juges français sur l’attentat d’avril 1994 au cours duquel le Président rwandais d’alors, Juvénal Habyarimana, trouva la mort. Des proches de Paul Kagame ont été mis en cause dans cette enquête, neuf mandats d’arrêt internationaux ayant été délivrés par la France.

En acceptant ce marché de dupes et en se livrant à une repentance dans un contexte qu’il ne maîtrise pas, Emmanuel Macron porte une lourde responsabilité et accroît le sentiment d’impunité et l’arrogance affichée par Paul Kagame à l’égard des démocraties occidentales. Une responsabilité trop grande et qui demeure pour lui abstraite. Résultat : à travers ce choix diplomatique, Emmanuel Macron accélère la désincarnation de la fonction suprême qui est la sienne. Pense-t-il que l’Histoire oubliera ? Sur un sujet aussi tragique, et comme l’affirme l’écrivain sicilien Leonardo Sciascia dans Le Jour de la chouette, on doit hélas conclure : « Les mots ne sont pas comme les chiens qu’on peut siffler pour les faire revenir. »

Véronique TRUONG

Avocate

Les contenus de cet auteur

Kigali (Discours de)

Par Véronique Truong.

Véronique TRUONG

L’actualité vue par les souverainistes