Colombie : chronique d’une grogne annoncée
OPINION. Depuis un projet de réforme fiscale lancé en avril dernier, et retiré depuis, la Colombie est en proie à une situation insurrectionnelle. Si personne ne réussit à canaliser cette grogne populaire, il y a fort à craindre que celle-ci se mue en guérilla urbaine.
La hausse du prix de l’essence a été la goutte de trop. Depuis déjà un mois, la Colombie est le théâtre de manifestations enflammées. Le carburant, étincelle d’une grogne qui couvait depuis longtemps. À la suite de la pandémie, le pays de Simon Bolivar a vécu comme nous au rythme des confinements et autres « restrictions sanitaires ». À tel point qu’en un an, un tiers des commerces a mis la clé sous la porte à Bogota. Dans ce pays gangrené par la corruption, on ne s’attendait pas à ce que Christophe Colomb conquière Byzance, mais tout de même…
Le 29 avril, le département administratif national de statistiques colombiennes (DANE) a dévoilé ses chiffres de première fraîcheur. Quatre Colombiens sur dix vivent désormais en deçà du seuil de « pauvreté monétaire ». Un quart de la population ne mange que deux fois par jour. Afin que le lecteur y voie plus clair dans son magma de chiffres et graphiques, l’institut étatique nous donne plusieurs exemples types. Reprenons-en un. Un Colombien lambda, que l’institut appelle Esteban, est marié à Karen. Ces époux ont donné naissance à deux enfants : Jimena, huit ans, et Santiago, quatre ans. Honnête citoyen peu enclin aux économies souterraines, Esteban se donne beaucoup de peine à l’usine. Sa charmante épouse reste à la maison, un modeste logement qu’elle met à profit pour cuisiner de succulentes arepas (galettes de maïs). Quand il rentre chez lui avec une faim d’ogre, Esteban s’empresse de les garnir de fromage râpé, de chicharron (couenne de porc grillée), d’« œufs perico » et d’un peu de verdure. Esteban gagne plus que le salaire minimum. Il est même millionnaire, car il gagne un million de pesos par mois. Sans le taux de change, ça lui fait un petit pactole de 220 euros par mois. À la campagne, ce serait déjà laborieux,...