Idéalisme et réalisme: deux visions du monde dans Hamlet
Publiée en 1603, la plus célèbre des pièces de Shakespeare est riche en enseignements. Derrière le combat entre Hamlet et Claudius apparait l’éternelle tension entre idéalisme et réalisme.
La tragédie de Shakespeare, Hamlet*, s’articule autour d’un contraste paradoxal: l’homme jeune, Hamlet, est l’homme du passé, de la nostalgie et du ressentiment, avec une tendance marquée à la procrastination; et c’est, en revanche, le roi Claudius, homme mûr, qui incarne la modernité, le sens de l’action et l’efficacité. Ce sont aussi, et surtout, deux visions du monde qui s’opposent: un certain idéalisme (teinté d’amertume et de rancœur) versus une position réaliste, qui verse volontiers dans l’opportunisme, voire le cynisme. Tout se passe comme si s’engageait, à travers le combat que se livrent les "deux puissants adversaires" (V.2.62), la lutte sans merci entre deux visions du monde irréconciliables.
Hamlet, par nature, est sans doute un homme bienveillant, et qui, en d’autres circonstances aurait peut-être su faire preuve d’autorité et d’efficacité: "soumis à l’épreuve, / Il était homme à s’en tirer royalement" (V.2.408-409). Mais voilà qu’il est, depuis le décès de son père (survenu d’étrange manière) plongé dans un état d’affliction, de frustration et de "mélancolie" qui semble le renvoyer vers un passé, souvent idéalisé et inhibant, plutôt que le pousser vers des prises de décision audacieuses mais nécessaires.
Souvenons-nous de cette fameuse "scène du crâne", quand il tient en main le crâne de Yorick, le bouffon (V.1.201-203), regrettant le temps des jeux et de l’insouciance, l’âge d’or de l’enfance et des paradis perdus... De telles évocations nostalgiques d’un temps révolu ne sont pas rares chez Hamlet.
Déjà, plus avant dans la pièce, en effet, dans la non moins célèbre "scène du couvent", Hamlet se plaignait auprès d’Ophélie, et en proie à une vraie "confusion des sentiments", d’avoir connu un temps où, certes, il l’aimait, mais, en même temps, où, prétend-il aujourd’hui, il ne l’aimait pas: "C’était jadis un paradoxe, mais aujourd’hui le siècle le prouve. Je vous ai aimée...