Ces livres qui prêtent leur voix au peuple souverain
Faire écho à nos analyses, commentaires ou propositions, faire vivre la littérature, les essais, à travers une sélection subjective de livres récents, plus anciens ou encore classiques, c’est l’ambition de la rubrique de Frank Lanot. Et toujours se souvenir que l’art de lire, c’est l’art de penser avec un peu d’aide.
LES MISÉRABLES, VICTOR HUGO [1862]
Il existe mille manières de lire Hugo. La première, hélas, est de ne pas le lire : trop vieux, trop long, trop trop. L’emphase, la démesure, la grandiloquence : ainsi est-il enfermé dans la grosse caisse de l’outrance, dûment verrouillée, et renvoyé au monument national, qu’on ne visite plus.
Disons-le tout net : Hugo est notre grand romancier populaire : il écrit pour le Peuple – la majuscule est chez lui de rigueur – et Les Misérables est une célébration du Peuple. Valjean, Cosette, Gavroche, Fantine, jusqu’aux Thénardier, que sont-ils d’autre que des figures de celui sur qui s’exerce, dans sa brutalité, le pouvoir d’en haut ? Hugo écrit pour eux. Il écrit gros, il écrit grand, il écrit large : ainsi disent en ricanant les esthètes poudrés. Mais ils n’ont pas su voir que c’est dans cette épaisseur de fresque et d’épopée que Hugo a choisi de parler du Peuple. Enfin. Sculpter un bagnard dans le marbre dont on faisait naguère les héros, peindre le gamin de Paris avec les couleurs réservées aux séraphins d’antan : voilà en quoi, comme il l’écrit dans la préface des Misérables, « des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles ».
Je veux évoquer un moment essentiel du roman : l’exaltation de l’ABC. Hugo présente, dans Paris en révolte contre la monarchie, un groupe d’étudiants qui s’est donné comme nom Les Amis de l’ABC. En clair : les amis de l’alphabet, ce sésame sans lequel il n’est point de liberté possible. Ces étudiants, frères d’âme et d’encre du romancier, incarnent l’idéal de libération par le savoir. Mais comment ne pas lire que ces amis de la science sont les amis du Peuple. Le Peuple, c’est l’« abaissé » : celui, littéralement, qu’on plaque au sol par la violence, symbolique et politique. Militer, pour Hugo, c’est s’engager pour que...