En 1978, Régis Debray fait paraître aux éditions Maspero pour les dix ans de mai 1968 : Modeste contribution aux discours et cérémonies officielles du dixième anniversaire. Implacable, le réquisitoire est republié en 2008 sous un titre évocateur : Mai 1968, une contre-révolution réussie. L’ambiance est posée.

La plus grande révolte de cette fin de XXe siècle français n’est même pas une révolution manquée, mais une contre-révolution qui a bel et bien touché sa cible. Thèse réactionnaire ? Le procès n’a pas manqué. Ainsi, Daniel Lindenberg publiait-il en 2002 son célèbre Le Rappel à l’ordre, sous-titré : « Enquête sur les nouveaux réactionnaires ». Au premier rang sur le banc des accusés : Régis Debray. Pourtant, en mai 1968, Régis Debray suit les événements depuis une prison d’Amérique latine ! Après le renversement de Batista en 1959 lors de la révolution cubaine, Debray s’était engagé dans l’aventure bolivienne du révolutionnaire Guevara. Pendant qu’à Paris, Althusser discutait de la coupure épistémologique dans l’œuvre de Marx, Debray examinait la possibilité de la lutte armée dans les Andes. Axiome : c’est à la théorie de vouvoyer la pratique. Son périple guévariste ayant tourné court, Debray est incarcéré en 1967. Dans une interview filmée fin 1969 depuis son pénitencier et alors que de Gaulle vient de quitter le pouvoir, Régis Debray s’inquiète : « Tout ce que je souhaite (1), c’est que les pas qu’avait faits le général de Gaulle dans la voie d’une politique indépendante demeurent et subsistent inchangés, c’est tout ce que je souhaite. » Debray a déjà compris, mais il est trop tard. Sa thèse sur mai 1968 ne fera que se renforcer : il fallait une révolution des mœurs pour faire imploser le carcan du vieux républicanisme français et rendre désirables au Gaulois réfractaire le modèle américain et sa nouvelle forme néolibérale et managériale du capitalisme, vendus comme un progrès. « Pour...