TémoignageFPContenu payant

La machine présentielle

La littérature est-elle menacée d’extinction ? Les machines vont-elles nous dispenser de la fréquentation des œuvres ? Existe-t-il encore des imaginaires inviolés ? Nous avons demandé son sentiment à l’écrivain Pierre Mari.

/2023/09/24_LA-MACHINE-PRESENTIELLE


Impossible, décidément, de me rappeler le titre et l’auteur de ce roman de science-fiction lu il y a plusieurs décennies (peut-être parce que, comme souvent dans le genre, une prémisse ingénieuse était posée, et que sa mise en forme narrative s’avérait décevante et peu mémorable) : une cité-civilisation brillante, sorte d’Athènes du futur, voyait un jour grossir une menace, venue des confins de l’univers, qui risquait de la déposséder de son intégrité. Sa mobilisation en grande pompe ne réussissait pas à duper une petite poignée d’esprits : il était clair, à leurs yeux, que toute substance avait abandonné depuis longtemps leur civilisation et que les forces négatrices s’abattraient sur une vaste enveloppe creuse qui, pour l’essentiel, leur était déjà acquise.


Il y a quelqu’un ?


Toutes proportions gardées, les débats actuels sur l’arrivée de machines ultraperformantes dans le champ littéraire me rappellent cette situation. J’avoue les avoir peu suivis. Entre millénarisme béat, prudence pontifiante et prédictions apocalyptiques, les argumentaires m’ont très vite lassé. Je ne suis même pas au courant, dans le détail, des « mille et une façons dont l’intelligence artificielle va bousculer la création littéraire » : sur ce sujet comme sur bien d’autres, un ouï-dire attentiste, vaguement goguenard, me paraît préférable à une curiosité tous azimuts et à la multiplication frénétique des hypothèses. Je ne peux pas m’empêcher de penser que le cours des choses a d’ores et déjà privé ces débats d’une bonne partie de leur prétendue acuité : les langages machinaux n’ont pas attendu la montée en puissance délirante des machines pour imposer leur cadence, leur contenu, leur capacité de production. J’entendais récemment un auteur de romans policiers, presque touchant à force d’inquiétude, se demander le plus gravement du monde : « Qu’éprouvera le lecteur qui, tout en se délectant d’une intrigue excitante, inventive, bien troussée, devra s’accommoder du fait qu’il n’y a personne...