« Le crime est sacré quand il se fait par ordre. » – Voltaire, Mahomet (1741), Acte II, scène 6

Voltaire ambitionnait de rester dans l’histoire pour ses tragédies et ses traités philosophiques, il y est resté pour ses contes et sa correspondance. Ses grandes tragédies en vers ne sont de fait presque plus jouées : Racine a plié le match depuis longtemps. Et pourtant, elles bougent encore de temps en temps. Ainsi, il y a vingt ans, en 2005, au plus fort de la polémique internationale déclenchée par les caricatures danoises de Mahomet, une représentation de la tragédie Le Fanatisme ou Mahomet le prophète (créée à la Comédie-Française en 1741), suscite des protestations à Genève (Carouge) puis à Saint-Genis-Pouilly, dans le pays de Gex. Le metteur en scène Hervé Loichemol raconte avoir subi des pressions, certains groupes estimant que la pièce offensait l’islam. Deux siècles et demi après sa création, la pièce (peu lue et presque plus mise en scène) continue donc à cristalliser les tensions à l’occasion d’une de ses réapparitions épisodiques. Choisir de la mettre en scène dans le contexte de l’époque (et encore plus sans doute actuellement) en Europe constituerait ainsi un geste ambigu, entre militantisme et provocation. Voltaire, le grand penseur de la tolérance, aurait du mal à y retrouver ses petits… « Ainsi, l’ironie de l’Histoire veut que la tolérance moderne produise le même effet que l’intolérance du Parlement de Paris au siècle des Lumières (1). Les parlementaires croyaient reconnaître le christianisme sous le masque musulman. Les édiles genevois s’effraient que le Mahomet voltairien soit bien Mahomet. On voit apparaître ici une intolérance au nom de la tolérance, comme si les communautés de croyants avaient désormais un droit de regard moral, une quasi-propriété sur leurs figures et leurs emblèmes sacrés (2). » Cet épisode, loin d’être anecdotique, nous renvoie...