L’Impérialisme de la liberté, Osamu Nishitani, éd. Seuil, 2022

Au XXe siècle, le grand théoricien socialiste Karl Polanyi avait mis en garde contre la transformation de la terre en « marchandise fictive ». Or qui ont été les premiers à considérer la terre comme une marchandise ? Les Américains. Arrivés au début du XVIIe siècle pour fuir l’anglicanisme du vieux continent européen, les fameux Pères pèlerins puritains – le protestantisme des émigrants n’est pas neutre, puisque c’est de lui que proviennent la conception personnelle et « privée » de la foi et le rapport non médié à la liberté – prétendent débarquer sur ce que les Romains appelaient une terra nullius, c’est-à-dire une terre libre n’appartenant à personne. Si dans ce travail absolument remarquable (publié avec l’approbation du non moins remarquable Alain Supiot), le philosophe japonais Osamu Nishitani offre une réflexion profonde sur les origines intellectuelles, religieuses et juridiques des États-Unis, l’idée est pourtant moins de décrire historiquement la naissance des États-Unis (travail déjà maintes fois réalisé) que de mettre au jour les soubassements d’une nouvelle normativité qui a créé l’Amérique et donné sa forme au capitalisme néolibéral contemporain et à la globalisation. L’Amérique est ici vue comme l’espace système d’une nouvelle conception (coercitive) de la liberté, comme un droit à la propriété privée exclusive et inviolable, dans le sillage de John Locke et d’une conception messianique (donc libératrice) de la conquête. Cet espace de la « liberté » a permis de nier tout droit à l’existence (a fortiori à la propriété) des occupants indigènes. La « liberté » américaine est une « libéralisation », c’est-à-dire une liberté élaborée dans des termes qui deviendront les termes canoniques du marché. Dans cet esprit, la terre appartient à celui qui en tire le meilleur rendement. Il faut au moins une telle conception du monde pour génocider consciencieusement un peuple avec le sourire et la satisfaction...