"Une médecine rongée par le centralisme parisien" : l'interview de Didier Raoult
L’interview de Didier Raoult par Zeina Trad Les derniers mois ont révélé toutes les lourdeurs et les failles de notre système médical : entre l’hyperadministration des hôpitaux, la lenteur des décisions politiques, le manque de personnel soignant, l’effondrement de notre système de recherche, les guerres entre mandarins de l’université ou l’influence des lobbies pharmaceutiques, le bilan est décidément terrible. Alors que la France dépense davantage que quasiment tous les autres pays pour les soins, nous bénéficions d’un service de santé et de recherche chancelant, chaotique et normatif qui semble incapable de libérer la créativité des médecins. Le professeur Didier Raoult nous livre son analyse sans concession du mal-être médical français.
F.P. : On a pu constater beaucoup de flottement dans la gestion de la crise sanitaire en France, à tel point que la plupart des malades ne pouvaient même pas bénéficier d’un traitement. Comment l’expliquer ? Faut-il y voir le poids du lobbying pharmaceutique ?
Didier Raoult : Ce n’est pas spécifique à la France. Nous épousons un modèle de développement médical basé sur une créativité médicamenteuse qui a commencé il y a un siècle et demi et qui a donné jusqu’au XXIe siècle des résultats spectaculaires, comme une augmentation de l’espérance de vie et une diminution de la mortalité infantile très significatives. Nous sommes passés depuis le XIXe siècle d’une espérance de vie aussi faible qu’à l’époque romaine à une espérance de vie très élevée proche de quatre-vingts ans. Or, ce modèle appuyé sur les découvertes chimiques majeures est en grande partie à bout de souffle. Je m’explique : le principe de la croissance économique est basé sur l’obsolescence des découvertes. Il faut que toutes les innovations soient dépassées par de nouvelles pour que le système continue de croître. Mais les pays riches, surtout les États-Unis et l’Europe de l’Ouest, se trouvent désormais dans une impasse en matière de médicaments : ils ne parviennent plus à progresser. D’un point de vue logique, nous ne devrions pas être surpris de voir l’espérance de vie des pays les plus pauvres rattraper celle des pays les plus riches. C’était frappant lors de la crise du Covid, où nous avons bien vu que les pays les plus riches sont ceux qui ont connu la plus forte mortalité. Il y a une espèce de paradoxe qui n’en est pas un en réalité. Nous évoluons au sein d’un modèle dépassé qui est celui de la créativité médicamenteuse.
F.P. : Pourquoi le modèle actuel est-il dépassé ?
Didier Raoult : Depuis plusieurs décennies, le nombre...