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Ceux de 14, ou la force de sentir de Maurice Genevoix

CONTRIBUTION / OPINION. Plus qu’un simple récit de guerre, Ceux de 14 est une ode à la condition humaine face à l’horreur. Par un réalisme poignant et une langue empreinte d’élégance, Maurice Genevoix transcende le témoignage historique pour révéler l’âme des soldats de la Grande Guerre.

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Lorsqu’on ouvre Ceux de 14 de Maurice Genevoix, on a beau savoir qu’on va lire le plus grand témoignage historique et littéraire d’un soldat de la Grande Guerre, on a beau savoir que ce n’est ni un roman ni même un récit, mais la chronologie du quotidien d’un jeune et brillant normalien de 23 ans, mobilisé comme sous-lieutenant sur le front de Meuse entre août 1914 et avril 1915, on a beau savoir qu’il n’y est aucunement question de morale, de philosophie, de politique ou de tactique guerrière qu’engloberait un regard postérieur aux événements — les différents récits n’étant parus sous cette forme définitive qu’en 1949 —, on a beau s’attendre à côtoyer les lieutenants, les officiers, les soldats, dans la boue, la mort, sous les obus ou dans les instants de répit, on ne sait encore rien !

Car l’extraordinaire — et sans trahir « la soumission à la réalité vécue », la « volonté constante d’être véridique et fidèle » (ce sont les mots de l’auteur à la fin de sa vie) —, Maurice Genevoix l’exprime lui-même dans le quatrième livre, les Éparges : « Malgré cette fatigue dont nous avons les reins brûlés, une lucidité vibrante rayonne de nous sur le monde, touche (…) toutes les choses que nous percevons, nous les impose entières, si totalement que nous souffrons surtout de cela, de ce pouvoir terrible et nouveau qui nous oblige à subir ainsi, continuellement et tout entières, la laideur et la méchanceté du monde. » Un peu plus loin, il ajoute : « Elles (ces choses si monstrueuses subies) ne peuvent l’être assez pour dépasser notre force de sentir. » Notez la mesure, la retenue, l’élégance de la langue, ainsi que la force surhumaine, poétique et cosmique de son regard.

C’est ça qui éblouit : la force de sentir et de dire la totalité des choses vues....

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