Déflagration des sens
CRITIQUE. Karim Akouche est un poète, romancier et dramaturge québécois d’origine kabyle. Cri du cœur autant que de l’esprit, Déflagration des sens, édité chez Écriture, est son quatrième roman.
C’est notre première lecture d’un livre de Karim Akouche et, dès les premières lignes de l’incipit, ses mots nous sautent à la gorge : « On ne peut pas réfléchir les couilles pleines. Je te parle franchement, camarade, sans zigzag, la langue dans la plaie. » La langue dans la plaie, c’est le mot. nous voilà prévenus. La langue de Karim Akouche sent l’urgence et la poudre. Tout le long du livre, elle hurlera en silence dans le dédale des pages.
De l’avis même de l’auteur, Déflagration des sens ferme une sorte de cycle romanesque de la dépression. Un cycle romanesque témoin d’une triple dépossession : dans Allah au pays des enfants perdus, les héros sont dépossédés de leur avenir ; dans La religion de ma mère, ils sont dépossédés de leur passé. Dans ce dernier opus, c’est le présent qu’on leur ôte.
Ce n’est sans doute pas un hasard si le narrateur annonce dès les premières pages sa propre filiation de cœur et d’esprit avec « le vieil Emil », à savoir Emil Cioran, le philosophe roumain qui a écrit des centaines de pages depuis les cimes du désespoir pour tenter de conjurer l’absurdité de la vie. « Il n’écrivait que lorsqu’il avait envie de se tirer une balle dans la tête. Comme lui, je ne parle que quand j’ai envie de me jeter d’une falaise. »
Le narrateur, Kâmal Storah, est un marginal algérien cloîtré dans la frustration. Son pays est un cadavre rongé par la rouille à demi-séculaire de la corruption et du désœuvrement. Épris d’une liberté qui tarde à montrer ses bourgeons, le narrateur se surnomme lui-même « Kâmal Sûtra », vieux réflexe de compensation psychologique. Il symbolise alors son envie de baiser le monde pour faire passer la pilule de sa condition, celle d’un mutilé qui porte ses propres inaccomplissements et les promesses...