Comprendre la stratégie militaire russe en Ukraine
OPINION. Après plus de deux mois de guerre en Ukraine, les « experts » médiatiques nous expliquent - par des appréciations parfois très fantaisistes - que l’armée russe est en situation d’échec en Ukraine. Alors que les combats s'intensifient dans le Donbass, l’historien militaire Sylvain Ferreira nous éclaire sur la stratégie militaire russe.
Il faut tout d'abord rappeler que le pivot de la doctrine russe, héritée de l'armée rouge, est l'art opératif. Cette articulation entre la tactique et la stratégie conceptualisée dans les années 20 et 30 par des théoriciens militaires passés à la postérité : Toukhatchevski, Svechine, Isserson et Triandafillov. C'est l'art opératif qui a permis à l'URSS de vaincre la Wehrmacht au cours de la Seconde Guerre mondiale. Cette doctrine est née pour faire face à la modification des enjeux à la fois à l'expansion géographique des opérations militaires et à l'expansion des effectifs des armées modernes qui, de plus, bénéficient d'une mécanisation et d'une motorisation importantes à l'issue de la Grande Guerre. Il s'agit non seulement de percer le front adverse en un ou plusieurs lieux avec des unités de rupture très largement dotées en artillerie et en appui aérien pour ensuite pénétrer dans la profondeur du dispositif névralgique – jusqu'à plusieurs centaines de kilomètres de la ligne de front – de l'adversaire avec d'autres unités, généralement des armées de char, pour le neutraliser et lui ôter les moyens de poursuivre le combat. L'art opératif recouvre non seulement cette réalité baptisée de "l’opération en profondeur", mais il recouvre également la notion de simultanéité ou de séquençage dans le temps de plusieurs opérations contre un même adversaire. L'été 1944 verra ainsi l'armée rouge faire une véritable démonstration de ce nouvel art en conduisant de manière séquencée plusieurs opérations (Bagration/Lvov-Sanomiercz/Iassi-Chisinau) pour repousser la Wehrmacht de plusieurs centaines de kilomètres tout en détruisant un nombre considérable de divisions allemandes. La mise en œuvre de l'art opératif nécessite une solide formation à la fois théorique et pratique pour manœuvrer des effectifs importants et surtout pour savoir à partir de quel moment le front adverse est suffisamment disloqué pour introduire dans la brèche les forces d'exploitation...