Abstention : panne de connexion
OPINION. Au-delà des questions d’offre et d’institutions, l’abstention constatée aux régionales montre surtout la dépolitisation du corps social français au profit d’un individualisme consumériste. Selon notre abonné, l’homme moderne n’est plus un animal politique.
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On veut nous faire comprendre ce qui nous arrive avec cette abstention massive qu’en évoquant la politique de l’offre. Croire qu’en modifiant le mode de représentation par quelques retouches techniques est une illusion. La politique actuelle est devenue un « supermarché » qui assouvit les besoins individuels ou corporatifs dans un temps court. La question n’est plus « comment changer la politique », mais plutôt de savoir quelle perception de cette politique ont nos concitoyens, ayant eux-mêmes été anthropologiquement et profondément transformés.
Non seulement l’individualisme domine nos sociétés, mais surtout l’individu lui-même s’en trouve déphasé. Le désir devient un droit et le désir réalisé est dévastateur, car il se perd dans les addictions autant festives qu’illicites et sans limites. Au « tout est politique » du marxisme s’est substitué « plus rien n’est politique », avec comme conséquence une désarticulation de « l’honnête homme », guidé par la raison et le bien commun. Et les fameuses « valeurs républicaines » sont très insuffisantes pour expliquer ce retournement.
Si une appartenance persiste, c’est celle de communautés identitaires ne supportant aucune altérité. L’égalité surplombant la liberté suppose l’impossibilité de toute « sortie hors de soi », de tout épanouissement, désormais compris comme domination de l’autre. L’individu moderne s’est lui-même dépolitisé en troquant son souci du relationnel social contre un narcissisme aux tendances consommatrices. En outre, l’exigence de réponses urgentes à ses désirs impérieux a remplacé la distance nécessaire à la politique, grand régulateur des interactions humaines favorisant la liberté de chacun.
L’évolution des techniques de communication a pu renforcer ce repli dans la sphère domestique, en remplaçant le débat public et la confrontation vivante, gages d’ouverture au monde. L’intrusion de ces nouveaux médias a brouillé notre perception et a accentué le crédit donné à son « quant à soi », à la croyance que l’on dirige sa vie sans entrave et qu’on peut même en être le héros....