De quoi « iel » est-il le pronom ?
OPINION. Au-delà des considérations militantes, l’arrivée du pronom « iel » dans le dictionnaire Le Robert est aussi le symptôme d’une société qui s’est débarrassée des vertus de l’enracinement.
Le pronom « iel » promu par le Robert s’utilise à la place de « il » ou de « elle », et s’insère au milieu d’eux comme troisième forme pronominale soit pour désigner une personne dont on ne connaît pas le genre, soit pour désigner une personne « non-binaire » (qui ne se considère ni comme un homme ni comme une femme).
Remarquable apparition que celle de ce troisième terme, qui n’est pas un dépassement, un tiers complet, une synthèse porteuse d’un nouveau sens, mais qui, hormis le cas des vrais et rarissimes androgynes non spécifiquement visés par la nouvelle désignation, est un mot outil à pincer le vide, un carrefour, un lieu neutralisé où l’on peut stationner indéfiniment dans l’indécision ou bien quitter pour s’engager sur l’une des voies, ou encore — pourquoi pas ? — y revenir pour s’engager dans de nouvelles options.
Le « iel » est une salle d’attente, un hub d’aéroport pour « anywhere », un espace hors sol c’est-à-dire un espace qui a pour caractéristique paradoxale de ne pas être situé, de ne pas ontologiquement en être un, un lieu anonyme, qui, parce qu’il n’est de nulle part, pourrait être partout, défini par l’absence. Ce pronom est une forme transitoire donnée à l’informe, un refus de forme, un « safe space » protégeant de l’« assignation ». C’est l’ombre d’un fantôme. L’être du « iel » qui n’est pas, qui du moins n’est plus en lui-même, qui n’est plus nulle part clairement situé, devient un pur résident du langage qui le désigne, qu’il adopte, intériorise, « customise » part« iel »lement ou réaménage plus à fond, et qui s’oppose aux désignations fausses et blessantes, celles qui dénient ses désirs, son sentiment de soi (les fameuses « assignations » fruits empoisonnés du langage fasciste par nature que dénonçait le Roland Barthes des années soixante-dix, le langage préwoke qui empêchait la bien-disance et qui rendait obligatoire la mauvaise). Cet être...