FICTION

Deux cafés et un journal

FICTION. Nouvelle fiction de l’un de nos abonnés, sur le thème de l’américanisation de la société.

/2020/10/Devanture Boutique

Ils étaient en retard. Et alors ? Pour ce que ça changeait ! Aristide et Philippe étaient assis face à face, à une table de la terrasse de la boulangerie où ils se retrouvaient presque tous les matins. La rue était encore à peu près vide, et résonnait des pas des rares passants. Il aurait été difficile d’expliquer la raison de leur retard. Peut-être que le jour lui-même s’était levé trop tard ? Ça arrive ça, qu’il vous joue ce genre de tour, le jour ! Il faut juste qu’on n’ait vraiment pas envie d’aller au boulot.

Aristide était noir, et comme l’avait dit un humoriste mort depuis un peu plus de trente ans, il ne le faisait pas méchamment. Ce comique était disparu, à l’époque où Aristide avait encore un emploi stable et décemment payé. Et avant sa mort, il n’avait pas eu l’idée, ou le temps, de faire remarquer que Philippe, qui était blanc, ne le faisait pas plus méchamment qu’Aristide. Philippe aussi pouvait se souvenir qu’à l’époque où Aristide et lui riaient ensemble des géniales trouvailles de cet humoriste, il avait, lui aussi, jouit d’un emploi stable… et bien payé de surcroit.

Dire qu’Aristide et Philippe se connaissaient depuis longtemps aurait été un « ondeursteïtemante », mot qu’on prononcerait en faisant, de l’index et du majeur des deux mains, dans l’air, le signe de « quouôte » Nous n’allons pas nous abaisser à dire « euphémisme » et « guillemets », tout de même! Ils se connaissaient depuis presque toujours, depuis la maternelle. Et comme ils n’avaient, ni l’un, ni l’autre, jamais quitté leur quartier d’enfance, leur amitié perdurait, comme ça, en roue libre, presque automatiquement, mais avec conviction.

On est le 25 du mois, Aristide et Philippe partagent le journal, un jour c’est Aristide qui paye, le suivant c’est Philippe. Ils se connaissent si bien, qu’ils n’ont pas...