FICTION

L'entretien de citoyenneté

FICTION. Un texte d’inspiration orwellienne qui fait évidemment songer à « 1984 ». La fiction d’un abonné s’étant amusé à tirer le fil hygiéniste ambiant, pour livrer un récit grinçant et glaçant, plaçant ses personnages dans le décor d’une dictature sanitaire qu’on ose imaginer largement futuriste.

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« Est-ce que mon père veut mourir ? »

Il n’y avait pas d’affect dans cette question, ses yeux noirs n’exprimaient rien. Comme je restai silencieuse, il poursuivit : « Son infirmière affirme que c’est le cas. Avant de plonger dans le coma, mon père lui aurait dit : « j’en ai assez, je souffre trop. ». Bon...passons sur le fait que ce ne soit pas très clair - le vieux ne l’a jamais été, de toute façon - je souffre trop. Qu’est-ce que ça veut dire ? Personne n’aime souffrir. La souffrance est irrationnelle et pour accepter l’irrationnel, il faut avoir la foi. Et je ne parle pas de la foi en Dieu ; je parle de la foi en nous. En ce que nous bâtissons, une société plus solidaire, plus juste, plus humaine.

Mon correspondant national « Éthique et Santé » lissa le peu de cheveux qui lui restaient sur le haut du crâne.

« De toute manière, continua-t-il, ce n’est pas ça le problème. Le vrai problème, c’est cette infirmière. Ce n’est pas personnel. C’est juste...c’est juste qu’elle n’a obtenu qu’un petit 12/20 lors de son dernier entretien de citoyenneté.

—12/20, ce n’est pas une bonne note ? demandais-je, aussi attentive que je pouvais l’être.

—Non, c’est même très mauvais. Moi, quand je colle un 12 à quelqu’un, c’est que je veux me le payer !

Mélanie, ma sœur ainée, m’avait mise en garde : lors de son évaluation, le représentant de l’État lui avait tendu bon nombre de pièges embusqués derrière des apartés inoffensifs et des questions anodines ; ce qui n’était pas vraiment une surprise. Ces correspondants étaient réputés pour traquer les manquements aux consignes gouvernementales avec le zèle des idéologues et la méticulosité des dentistes. Au bout du compte, ma sœur avait été autorisée à faire son deuxième enfant, mais tout s’était joué à peu de choses.

Aujourd’hui,...