F.P. : Que pensez-vous du procès en « essentialisme » fait à ceux qui tentent – dans une certaine dimension critique, car les louangeurs sont rarement suspectés – de saisir l’islam dans sa singularité ?

Rémi Brague : Il y a un grain de vérité dans ce reproche, qui ne vaut d’ailleurs pas uniquement pour l’islam. Il faut se garder de figer des réalités historiques, mouvantes par définition et variées quant à la géographie. Cela dit, dès que l’on nomme les choses, on suppose qu’elles possèdent un minimum de consistance, ou en tout cas que ceux qui dialoguent sont d’accord sur ce dont ils parlent. C’est ce minimum qui permet de se comprendre. En ce qui concerne l’islam, il a, comme toute religion, un noyau dur. Un chrétien qui ne croirait pas que Jésus de Nazareth est le Christ, le dernier mot de Dieu (le Verbe, disent les théologiens) ne serait pas vraiment chrétien. De même, un musulman qui ne croirait pas qu’il n’est de Dieu qu’Allah et que Mahomet est son envoyé (c’est la formule bien connue de la confession de foi islamique) ne serait pas vraiment musulman. Souvent, quand on rappelle tel ou tel fait, la plupart du temps déplaisant, la réponse des musulmans fuse : « Ce n’est pas l’islam ! » On suppose que celui-ci possède quelque chose comme une « essence », par rapport à laquelle le reste ne constitue que des propriétés adventices, ce que les philosophes appellent, d’un mot souvent compris de travers, des « accidents ». Je plaiderais donc pour un essentialisme conscient, intelligent, contrôlé.

F.P. : Vous semblez considérer que l’islam n’est pas une « religion » au sens chrétien du terme. Vous ajoutez que nous avons grand tort de regarder l’islam avec des lunettes chrétiennes. Qu’est-ce à dire ?

Rémi Brague : Un journaliste incapable de comprendre une phrase de plus de trois mots – c’est une maladie...