Emmanuel Todd, géographe, anthropologue, écrivain, politologue, bref, intellectuel comme on aime à dire en France, s’hasarde à nouveau à l’art périlleux de la prophétie. Il faut reconnaître, à travers les époques, que de nombreuses de ses prédictions se seront avérées tout à fait pertinentes ; jeune essayiste, il avait prédit en 76 la chute de l’URSS (La chute finale, Robert Laffont), puis au début des années 90 des malheurs à venir de l’Union européenne (L’invention de l’Europe, Seuil), avant d’annoncer les révolutions arabes avec prescience peu avant 2011 (Allah n’y est pour rien !, Le Publieur, 2011).

Il s’amuse de cette réputation de prophète politique, en joue, non sans humour ; dans une interview accordée au média Thinkerview, il déclare se tromper, certes, à 25 % dans ses prédictions, ce qui reste tout à fait honorable lorsqu’on compare à Alain Minc, qui réussit lui l’exploit de se tromper toujours, avec une remarque constance que tout statisticien se doit d’admirer. Le secret de Todd est dans l’anthropologie. Todd lit le monde à travers les lunettes des systèmes familiaux, dont il connaît pour chaque peuple du monde les méandres, dans un remarquable niveau de détails. Pour Todd, les systèmes familiaux sont une matrice pour comprendre les religions, les systèmes politiques, la structure sociale, sociétale comme économique des nations ; car, nous explique-t-il, ces systèmes familiaux, que nous absorbons comme des éponges dès nos premiers pas, façonnent dans notre inconscient profond nos rapports à l’autorité, nos visions de l’égalité ou de l’inégalité entre les hommes, les rapports hommes femmes, nos choix religieux, in fine notre vision de la justice ou de la morale. Les choix religieux des peuples, dit Todd, qui structurent notre éthique, notre morale, notre organisation politique, sont une conséquence trop ignorée de nos structures familiales...