Mourir pour un cimetière
OPINION. Pour quoi serions-nous aujourd’hui capables de mourir ? En défendant avec acharnement leurs cimetières du saccage des Azéris, les Arméniens donnent une leçon d’humilité à un Occident qui fuit la mort et son devoir civilisationnel.
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« Nous avons essayé de garder au moins sous notre contrôle le cimetière de la ville, car nous savons qu’ils le détruiront », affirme d’une voix calme un soldat arménien aux équipes de Front Populaire venues retranscrire le conflit en novembre dernier. Parmi les images de maisons abandonnées à la hâte ou brûlées pour ne pas les laisser en offrande à leurs ennemis, de terres arides seulement peuplées de chiens errants, quelques soldats de fortune gardent des frontières qui, quelques jours plus tard, étaient caduques.
Ils se battent pour défendre leur maison, protéger leur famille, venger d’autres soldats tombés avant eux, et repousser en vain la percée de l’armée azérie. Mais dans cette démonstration de courage pour une guerre perdue d’avance, la caméra d’Alexandre Jonette a su capturer cette phrase : ils se battent et mourront peut-être pour défendre un cimetière.
Pour quoi mourir ?
Cette phrase résonne comme une interpellation au monde contemporain. Pour quoi serions-nous capables de mourir aujourd’hui ? Ses proches, dirions-nous instinctivement, mais il est probable que l’individualisme ayant tellement imprégné notre être depuis des décennies, la tentation du courage ne soit retenue par l’instinct de survie. Dans son livre La révolution de l’amour, Luc Ferry défend l’idée que nous ferions tout pour ceux que l’on aime, en opposant à ce bouleversement inédit dans l’histoire des concepts désuets : « Qui voudrait encore, du moins en Europe, mourir pour Dieu, pour la Patrie, pour la Révolution ? » Il est certain que depuis les belles heures du communisme en Europe, la Révolution n’inspire plus le sacrifice. Pour ce qui est de Dieu et de la Patrie, il demeure quelques rares exceptions.
Lorsqu’un militaire français s’engage aujourd’hui, il sait que même si les conflits sont loin de l’Europe en paix depuis des décennies, la mort l’attend si le devoir l’exige. Il n’admet donc pas...