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La dette est une affaire de goût

CONTRIBUTION / OPINION. Une esthétique de la dette existe. Mais elle s’est perdue dans une science du beau privilégiant les bonnes formes de la raison économique. Au détriment d’une autre science plus à propos, celle du sensible, du goût.

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Crédits illustration : ©ROMUALD MEIGNEUX/SIPA


« Je m’approche de l’œuvre, comme pour mieux la saisir. Je compte, mesure, rapporte. Tous les critères sont respectés. Cette œuvre est bel et bien moche à n’en pas douter. Elle est forcément moche puisque toutes ses caractéristiques conspirent à l’échec de mon émerveillement… Sauf qu’elle me plait bien. » Ces paroles ne sont pas celles d’un amateur d’art face à un tableau, mais d’un homo economicus face à la dette.

Car si la dette est moche, elle ne suscite pas l’effroi qu’elle mérite. Peut-être parce que le moche a ses raisons que la raison ignore. Ce qui revient à dire que les goûts et les couleurs ne se discutent pas. Même en matière de dette ? Une esthétique de la dette existe. Mais cette esthétique de nature économique s’est perdue dans une science du beau privilégiant les bonnes formes, les bonnes proportions, le bon niveau de dette. Ce niveau à ne pas dépasser sous peine de difformité, quand la dette devient une caricature, ou un monstre.

Or, cette esthétique économique de la dette a oublié l’autre science, celle du sensible, du goût. L’immédiateté plutôt que la raison analytique. L’art avait fait la même erreur il y a fort longtemps, avec ses « géomètres » experts du beau et gardiens de l’expérience du sublime en musique, poésie, peinture, sculpture… La faute à Descartes, la faute à Hegel. Mais l’art avait su réagir. Certes, un peu tard, puisqu’il aura fallu attendre le 18e siècle pour réaliser enfin que les sens précèdent le sens. En avocat du sensible, l’austère philosophe allemand Kant, dans sa Critique de la faculté de juger, récusait l’idée d’un beau raisonné. Une stratégie révolutionnaire pour l’époque, mais nécessaire. En effet, la raison obtuse était mise en échec devant la manifestation de certaines antinomies : « Cette œuvre est moche, mais elle me plait. »

Mais...

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