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Les emojis : arme de destruction massive du langage écrit

CONTRIBUTION / OPINION. Après l’inoffensif smiley destiné à faciliter le discours, nos conversations ont rapidement été polluées par une armée d’emoji colorés. Première victime de cette intrusion barbare : la langue française et sa richesse lexicale.

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Depuis une douzaine d’années, fleurissent sur nos écrans de téléphone de drôles de petits signes et autres graphismes apparemment anodins, bienveillants, drôles, bigarrés, stylisés et variés à l’envi censés refléter notre état d’esprit ou notre humeur du moment : les emojis. Leur ancêtre, le très sympathique smiley, archétype du positivisme contemporain a été décliné sous toutes ses mimiques du joyeux au dubitatif, et décore depuis bien innocemment pin’s, mugs, porte-clés et autres tee-shirt ainsi joyeusement parés.

Depuis 2011, le smartphone intègre désormais sur son clavier tout le panel des emojis, arme redoutable de destruction massive du langage écrit. L’argument d’autorité principal, c’est bien entendu de nous faire gagner du temps dans nos (trop) nombreux échanges numériques. Le danger principal, c’est de ne plus consacrer de temps véritable à ces mêmes conversations épistolaires, enfin du moins à des échanges qualitatifs et réfléchis, mûris dans la tonalité adéquate et le choix des tournures. L’écrit rapetissé, annihilé par la rapidité, l’« efficacité » communicationnelle. La nuance verbale réduite à la fonction expressive du langage, sous forme de signes simplifiés : un retour raté à une représentation figurée, aux temps rupestres où l’homme traçait ce qu’il avait vécu de manière référentielle, dans des ébauches narratives préfigurant un langage écrit qui n’était pas encore abouti, mais qui se devinait, se dessinait, s’annonçait dans le sens de lecture des scènes tracées à la lumière du feu. Car ce retour figuratif s’effectue de manière déceptive désormais : les emojis ne racontent rien justement, ils expriment à la hâte, creusement et narcissiquement, nos égotiques émotions instantanées. L’art pariétal des homo sapiens de la préhistoire figeait dans le temps la mémoire de ce que ceux-ci avaient vécu, les homo-numericus contemporains sont quant à eux des imposteurs qui prétendent exposer au grand jour des émotions nombrilistes du vaguement conceptualisées qui ne concernent qu’eux, et que...

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