Salman Rushdie : debout dans la nuit
CONTRIBUTION / OPINION. Présent à Montréal pour recevoir un prestigieux prix littéraire, Salman Rushdie incarne aujourd'hui une certaine idée de la résistance : celle des mots contre les injonctions du silence.
:max_bytes(300000)/frontpop/2025/05/SIPA_ap22875403_000001.jpeg)
Sa présence rare et précieuse résonne avec une intensité particulière pour ceux qui reconnaissent ce que représente son combat : une vie entière vouée aux mots libres, marquée par les blessures profondes et l’épée de Damoclès perpétuellement suspendue au-dessus de sa tête.
Depuis quelque temps, plusieurs de mes lectures m'ont ramené vers lui : Le Couteau (Gallimard), récit poignant de l’attentat qui faillit l’emporter ; Traité sur l'intolérance (Grasset) de Richard Malka, qui déploie une réflexion sans concession sur le blasphème et ses conséquences ; Prophètes en son pays (L'Observatoire) de Gilles Kepel, où l'auteur expose les ressorts géopolitiques de la fatwa lancée contre Rushdie en 1989.
Dans Le Couteau, Rushdie raconte l'attaque subie en 2022 lors d'une conférence dans l'État de New York : quinze coups de couteau, la perte d'un œil, une rééducation incertaine. Il y décrit la présence salvatrice de ses proches, son combat contre la haine et son refus obstiné de renoncer à l'écriture.
La prose de Rushdie, rappelle Kepel, s'inscrit dans la tradition du réalisme magique, explorant les déchirures du Raj britannique — ce territoire immense sous domination musulmane et à majorité hindoue — et les recompositions fragiles de la culture postcoloniale. Parmi ses œuvres, Les Versets sataniques demeure la plus controversée : en mettant en scène un prophète nommé Mahound — figure inspirée de polémiques médiévales —, Rushdie franchissait une ligne rouge aux yeux des dogmatiques.
Instrumentalisée et décontextualisée, son œuvre devint la proie d’autodafés, en Inde comme au Royaume-Uni, avant d'aboutir, le 14 février 1989, à la fatwa meurtrière décrétée par l’ayatollah Khomeini.
On aurait pu croire que l’histoire des bûchers appartenait aux ténèbres de l’Inquisition ou aux cauchemars nazis. Mais une part de l’intelligentsia contemporaine, qui s’imagine toujours résistante, a préféré détourner le regard, brandissant l'idée d'un sacré outragé pour mieux justifier les renoncements.
Dans...