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Quand Sartre refusait le prix Nobel… mais touchait bien le chèque

CONTRIBUTION. Dans son récent Dictionnaire amoureux des livres et de la lecture (Plon, 2025), l’écrivain Pierre Assouline fait une révélation fracassante qu’il a pu lui-même vérifier dans les archives du comité Nobel à Stockholm : Jean-Paul Sartre a bien touché le chèque du Nobel après avoir refusé officiellement le prix.

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Le refus par Jean-Paul Sartre (1905-1980) du prix Nobel de littérature en 1964, année de parution de son autobiographie, et sans doute son meilleur livre, Les Mots, fait partie de sa légende. Il demeure à ce jour le seul auteur à l’avoir refusé.

Il y avait à cela des raisons personnelles et philosophiques. Sartre avait toujours refusé les distinctions honorifiques, décorations et postes officiels (il avait déjà décliné la Légion d’honneur en 1945). Il estimait que l’écrivain devait rester libre et indépendant, ne pas être institutionnalisé ni transformé en figure officielle : c’est sa thèse centrale dans son livre Qu’est-ce que la littérature ? (1948). Dans cette perspective, recevoir un prix tel que le Nobel aurait figé son œuvre et son image en grand écrivain officiel labellisé, comme s’il était arrivé au terme de son parcours, alors qu’il se voulait en perpétuel devenir.

Les raisons de Sartre étaient également politiques. Il craignait en effet que le Nobel soit utilisé comme une arme symbolique dans le contexte de la Guerre froide. En 1964, il jugeait que ce prix, attribué à un intellectuel français, pouvait être interprété comme un geste politique occidental face au bloc soviétique fragilisé. C’est en effet en octobre 1964 que Khrouchtchev se fait renverser par des rivaux qui gagnent en influence. Lui-même, engagé dans les luttes anticoloniales et proche de certains milieux marxistes, il ne voulait pas que son nom serve de caution à un camp contre l’autre.

Et l’argent alors ? Car le Nobel est aussi une question de gros sous : l’équivalent d’un million d’euros actuels. Dans la lettre qu’il adresse le 14 octobre 1964 à l’Académie suédoise (et publiée ensuite par Le Figaro), Sartre explique précisément ce qui motive son refus et évoque le point des « avantages matériels » : « Ce n’est pas la même chose si je signe...

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