Culpabilité, décolonialisme, «pas de vagues» : comment j’ai compris ce qu’était l’islamo-gauchisme
OPINION. Après l’attentat de Samuel Paty, le sociologue François Héran a écrit une lettre dans laquelle il invite les professeurs à remettre en cause la liberté d’expression. Notre abonnée répond ici à ce qui est, pour elle, une manifestation criante de l’islamo-gauchisme.
Mes interrogations ont commencé après l’assassinat de Samuel Paty. L’indignation est à son comble : le terrorisme islamique a frappé un professeur de l’école laïque, un « hussard de la République », éliminé horriblement à cause de l’exercice de ses fonctions. Les communiqués gouvernementaux portent logiquement sur la nécessaire défense de la laïcité, mais se mettent à dénoncer aussi, sous le mot-valise très flou « d’islamo-gauchisme », la responsabilité au moins indirecte des études scientifiques portant sur la décolonisation ou l’intersectionnalité.
Comment une accusation aussi invraisemblable est-elle possible ? Je ne connais pas les études « décoloniales », mais je sais, pour travailler en santé publique, que celles sur l’intersectionnalité sont très utiles, par exemple pour éclairer les discriminations qui sous-tendent les inégalités sociales de santé. Alors quand la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche parle d’enquêter sur « l’islamo-gauchisme » à l’université, je signe sans l’ombre d’une hésitation la pétition de protestation qui s’ensuit, parce que je suis chercheuse du service public et très à cheval sur ma liberté académique !
Et puis je lis un jour la « Lettre aux professeurs d’histoire-géographie » de François Héran, sociologue, démographe, professeur au Collège de France, sous-titrée : « Comment réfléchir en toute liberté sur la liberté d’expression ». Et là, autant le dire tout de suite, j’ai du mal à comprendre. D’après l’exergue, la liberté d’expression serait, paraît-il, « moins républicaine qu’on ne croit », mais le texte page 3 la fait découler du Virginia Bill of Rights, contemporain de la Déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique, une république, que je sache.
Derrière le « respect des croyances », la pensée décoloniale
Toujours d’après l’exergue, elle aurait aussi été, dans son histoire, « plus respectueuse des croyances ». Aucun élément concret ne vient à l’appui de l’assertion, si ce n’est — peut-être — une citation de Jules Ferry considérant qu’un instituteur qui outragerait les croyances religieuses serait aussi...