L'éternel « retour des années 30 »
Les médias raffolent des anachronismes, mais celui-ci est usé jusqu’à la corde : le « retour des années 30 », soit le spectre supposé d’un fascisme (supposé aussi) éternellement planant au-dessus de nos têtes. Mais qu’en est-il vraiment ?
F.P. : Les « années 30 » n’ont jamais été aussi proches, du moins dans les discours, notamment à la faveur de la puissance électorale du RN et la création récente d’un « Nouveau Front populaire ». Vous qui êtes spécialiste de la période, que vous inspire cette comparaison ?
Olivier Dard : Cette comparaison n’a rien de nouveau puisqu’on en trouve des expressions marquantes il y a déjà plus de vingt ans lorsque Daniel Lindenberg avait publié la première édition de son essai Le Rappel à l’ordre. S’il prenait la précaution de souligner que « comparaison n’est pas raison » en ajoutant que « le recours excessif aux analogies historiques bloque la réflexion », il postulait l’existence possible de « similitudes entre des époques de désarroi ». Par la suite, différentes plumes ont mis en exergue le « retour » des années trente et insisté encore très récemment à l’occasion de la dernière campagne législative sur la nécessité de dresser un parallèle entre la France d’alors et celle de 2024 où il s’agirait de conjurer grâce à un nouveau Front populaire une menace fasciste incarnée par le Rassemblement national. Constatons-le d’emblée, l’antifascisme perdure à gauche tandis que l’anticommunisme a largement disparu, même si certains discours contre le programme économique de la France insoumise ont pu renouer avec des formules rappelant la peur des « rouges ».
Vous me demandez ce que m’inspire cette comparaison. Je ne vous cacherai pas qu’elle me laisse sceptique et que je peine à voir dans Jordan Bardella un héritier du maréchal Pétain ou du Duce. N’esquivons cependant pas la comparaison et voyons ce qui peut être mis en parallèle entre les années trente et notre actualité. On relèvera l’existence dans les deux cas d’un malaise profond renvoyant au sentiment d’être ballotté dans une crise polymorphe et sans issue, qu’il s’agisse du politique et des institutions, de l’économique et du social, de...