Révolution
Les événements de mai 68 relèvent-ils de la « révolution », comme la France en a connu dans son histoire ? Certains l’ont affirmé. D’autres y ont vu une farce. Dès lors, qu’en penser ?
Rares sont ceux qui, en mai 68, doutaient du caractère révolutionnaire des événements qu’ils vivaient, tant la « révolution » continuait de nourrir l’imaginaire et les aspirations du monde intellectuel et étudiant.
L’hypothèse de la farce
Raymond Aron raconte dans ses Mémoires (1983) comment lui-même hésitait à voir en 68 une tragédie historique ou une farce, à la manière de Kojève : « Il était plus assuré que je ne l’étais moi-même qu’il s’agissait non d’une révolution mais d’un à la manière de. Il n’y a pas de révolution, me dit-il, puisque personne ne tue ou ne veut tuer. (…) Vingt-quatre heures plus tard, je ne doutais plus que les événements eussent singé la grande Histoire. » Vingt-quatre heures plus tard, c’est-à-dire le 30 mai, de Gaulle sifflait la fin de la récréation. La révolution n’avait pas eu lieu ; mais alors, qu’est-ce qui avait eu lieu ? On pourrait objecter que la réussite n’est pas le critère de la révolution, sans quoi 1830, 1848 et 1871 ne mériteraient pas non plus d’être qualifiés d’événements révolutionnaires. Après tout, la seule révolution qui, en France, ait « réussi » est celle de 1789. Dans cette perspective, mai 68 n’avait pas besoin de réussir pour s’inscrire dans la lignée des grands événements révolutionnaires : d’ailleurs, ceux-ci avaient aussi vu le retour du « parti de l’ordre ». Dans La Révolution introuvable (1968) Raymond Aron le note : « Chacune des crises révolutionnaires françaises du XIXe siècle a été suivie, après la phase des barricades ou des illusions lyriques, par un retour en force du parti de l’ordre. » Le caractère « atypique » de mai 68 tiendrait donc surtout à l’absence de véritable violence. Dans Comprendre le malheur français (2016), Marcel Gauchet en convient : « C’est le dernier épisode par lequel la France se signale au monde comme le pays des révolutions. Une “révolution” atypique, en forme d’adieu...