Une hospitalité exigeante
Ayyam Sureau a créé en 2008 l’association Pierre-Claver, qui dispense des cours de langues et de civilisation française auprès de plus de 200 réfugiés par an, pour la plupart venus d'Afghanistan. Cette petite structure, dont le financement est entièrement privé, accueille ses élèves dans un immeuble parisien non loin de l'Assemblée nationale. La fondatrice nous confie ses motivations, ses combats et ses doutes.
F.P. :
Qui était Ayyam Sureau avant de créer l'association Claver ?
AYYAM SUREAU :
Une lectrice assidue de Martin Buber, Lévinas, Arendt, Ricœur, Jeanne Hersch… particulièrement intéressée par les penseurs qui posent la relation humaine comme socle inaugural de toute attitude responsable. À l'Unesco, à la division de la philosophie, le travail que je faisais ne me paraissait pas assez incarné, assez engageant. J’ai toujours eu la tentation d’aller voir si une manière de penser peut justifier une manière de vivre. Je crois que j’ai fondé Claver pour me frotter au réel, j’en suis toujours là. Claver est une expérience éthique concrète et n'a pas d'autre sens. On y éprouve une résistance. C'est un laboratoire, un modèle qui se cherche sans cesse, où l'on est inquiet par vocation. Une chose est de déclarer, assis derrière son bureau, que « le visage de l’étranger me commande » – ce qui est vrai, du reste – autre chose est de vivre auprès des réfugiés les contraintes de l'accueil et de l’enseignement. De créer les conditions réelles, durables, politiques en un mot, de cette réciprocité si chère aux philosophes de la rencontre. Ce que je dis est valable pour tous les membres de notre association, confrontés en permanence à la question de la coexistence avec l’étranger, de la réparation des blessures de l’exil, de la transformation inévitable de soi et d’autrui qui s’opère dans le même temps où un « nous » doit se former. Pas une seule personne ne rentre ici, bénévole ou réfugiée, qui ne prenne le risque d'une transformation radicale.
F.P. :
Avez-vous ce faisant changé de regard sur l'humanité ?
AYYAM SUREAU :
Je me suis renforcée dans l'idée que l’expérience de l’exil et celle de l’hospitalité étaient les plus propres à définir notre humanité. À Claver, nous rencontrons des personnes qui, arrachées à leur pays, transforment leur...