Voyage au bout du malaise français
On dit parfois de certaines œuvres qu’elles étaient en avance sur leur temps. Tel est le cas de Voyage au centre du malaise français du sociologue Paul Yonnet, qui n’a pas rencontré son public lors de sa sortie en 1993. En le relisant presque trente ans plus tard, Barbara Lefebvre a le sentiment qu'en matière migratoire, il aurait décillé les yeux de bien des politiques et "experts" s'il avait été compris à l'époque, quand il était encore temps.
Voyage au centre du malaise français du sociologue Paul Yonnet est de ces œuvres oubliées à redécouvrir. Publié en 1993 chez Gallimard dans la collection Le Débat (du nom de la revue à laquelle l’auteur contribuait régulièrement1), ce voyage porte un sous-titre, L’antiracisme et le roman national, expliquant probablement pourquoi le livre fut violemment désapprouvé par la doxa intellectuelle parisienne. Ce qui était analysé par Yonnet, les perspectives tracées pour les décennies à venir, mettait directement en cause la responsabilité de ceux qui dominaient la vie politique, médiatique et intellectuelle de ces années 1990. Leur règne durait déjà depuis une décennie et ne commencerait à être contesté qu’au début des années 2000, jusqu’à se réduire aujourd’hui à quelques puissantes niches universitaires et politico-médiatiques. Si l’on compare le débat public actuel à celui des décennies 1980-2000, on peut convenir que la pluralité des opinions s’exprime davantage de nos jours. La taxinomie de l’opprobre (« faire le jeu de », « rappeler les pages sombres de notre histoire récente », « réacs », « populistes », etc.) dont fit usage pendant longtemps le gauchisme culturel (lequel ne saurait être confondu avec la gauche comme matrice politique) persiste, abondamment gonflée par les furieux réseaux sociaux, mais ce chantage intellectuel n’impressionne plus que les peureux ou les carriéristes, soucieux de « ne pas désespérer » ce qu’il reste de Saint-Germain-des-Prés, c’est-à-dire plus grand-chose.
L'IMMIGRÉ, CE NOUVEL AGENT HISTORIQUE QUI RÉGÉNÉRERAIT LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE
La gauche morale des années 1980-1990 distribuait avec fermeté les bons et mauvais points, et n’avait qu’un objet de mesure (« l’indice de proximité au fascisme ») et un mètre étalon bien de chez nous : Jean-Marie Le Pen. Être relié au lepénisme – souvent de façon absolument malhonnête intellectuellement – constituait le baiser de la mort. Et si, comme Yonnet, vous veniez de la gauche, l’excommunication de la sainte famille intellectuelle parisienne...