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Fontaines
CHRONIQUE. Tout au long de l'été, notre camarade Jean-Paul Pelras nous incite, avec ces chroniques champêtres, à nous replonger dans ce flot de souvenirs qui font notre identité collective. Aujourd'hui, quelques fontaines à la mémoire longue...
On dit d’elles sur l’Aubrac comme ailleurs, d’Aumont à Sainte Urcize, en passant par Marchastel et Laguiole qu’elles sont la « Brasserie des quatre femmes », qu’elles sont intermittentes, jaillissantes ou « jaculatoires ».
On prétend, depuis le Jardin d’Eden, qu’elles sont fontaines de jouvence et que l’eau du savoir coulait dans celle de Mimir où le dieu Odin accepta de perdre un œil contre quelques lampées du précieux breuvage. Mais nous en resterons à celles qui clapotent sur la place d’un petit village aveyronnais, cantalou ou lozérien.
Vous partiez en randonnée ou en pèlerinage et la providence vous offrit ce bassin de granit où vous avez pu épancher votre soif et poser votre séant, tout en observant la vieille devanture d’une mercerie ou le défilé nonchalant d’une ribambelle de génisses. Et vous êtes resté là, quelques minutes, à observer le va et viens de ceux qui allaient du bistrot à la petite station-service entre deux volées de cloches effarouchées et le passage d’une moissonneuse batteuse.
Vous vous rappelez depuis du visage couperosé du garagiste, des bottes de la fermière découpées au-dessus des chevilles, de son tablier à fleur, de l’odeur de pain chaud qui émanait de cette boulangerie toute proche et de la fille qui vous accompagnait. Comme vous, elle avait vingt ans et l’eau ruisselait sur sa peau cuivrée dans l’interminable décolleté d’une chemise légèrement dépoitraillée.
Adossés contre le granit du petit édifice, vous vous êtes juré ce jour-là d’y revenir avec vos quatre enfants. Vous y êtes revenu depuis, avec une autre bien sûr, et vous n’avez pas évoqué ce souvenir. Non, vous vous êtes contenté d’observer la petite place, l’église entre-ouverte, et le jet. Toujours le même, qui coule sans interruption et se donne aux gens de passage en leur volant un peu d’éternité.
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