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Guillaume Travers : « L’Etat moderne est calqué sur des formes empruntées à la sphère théologique »

ENTRETIEN. L'essayiste Guillaume Travers consacre à l'historien Ernst Kantorowicz, penseur incontournable associé à la révolution conservatrice allemande, un "Qui suis-je ?" paru aux éditions Pardès. Aussi exigeant qu'enrichissant.

/2023/07/KANTOROWICZ-TRAVERS


Front populaire : Comment expliquez-vous que Kantorowicz soit un "des plus grands historiens du 20e siècle", célébré par des intellectuels aussi profonds que Pierre Legendre, et qu'il soit si peu connu, cité, étudié ?

Guillaume Travers : Le cas Kantorowicz est un peu paradoxal. Son maître-livre, Les Deux Corps du roi, est mondialement reconnu comme l’un des plus grands ouvrages d’histoire – et, par extension, de science politique – du XXe siècle. Mais c’est aussi un livre d’accès extraordinairement compliqué, qui requiert un peu de préparation avant d’être lu. En France, Legendre l’a beaucoup lu, et a contribué à le faire traduire. Mais des penseurs tels que Marcel Gauchet ou Jacques Le Goff l’ont aussi considéré comme incontournable pour comprendre la genèse de l’Etat ou l’iconographie médiévale.


FP : Romantique, Réactionnaire, proche de la révolution conservatrice allemande, sympathisant nazi... tout a été dit sur Kantorowicz. Difficile au profane de se faire une idée. Qu'en est-il ?

GT : Il y a deux grandes parties de la vie de Kantorowicz. Superficiellement, elles paraissent être totalement disjointes, même si de très nombreux thèmes et centres d’intérêts les relient. L’historien qui publie Les Deux Corps du roi en 1957 est professeur dans la prestigieuse université américaine de Princeton. Il publie des articles savants dans des revues scientifiques, et correspond avec nombre de très grands esprits (l’historien de l’art Erwin Panofski, etc.).

Mais avant d’être exilé aux Etats-Unis, Kantorowicz a passé les premières quarante années de sa vie en Allemagne. Là, il a d’abord été un fervent nationaliste, combattant valeureux durant la Première Guerre mondiale puis dans les Corps francs après-guerre. Surtout, dans les années 1920, il a pris part à une aventure intellectuelle très intense, au sein du cercle animé par le poète Stefan George. Les relations qu’ils noue alors le rattachent très nettement à cette vaste mouvance...

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