Inculture et franglais
OPINION. L’imprégnation anglophone dans le vocabulaire de la bourgeoisie citadine est souvent — et à raison — pointée du doigt. Mais il ne faut pas oublier que la langue française a aussi influencé l’anglais.
Dans son deuxième volume de La Recherche, « À l’ombre des jeunes filles en fleurs », Marcel Proust décrit avec précision la généralisation du franglais chez les personnes incultes, dans la bourgeoisie citadine comme dans la fausse noblesse, Odette de Crécy en étant le meilleur exemple. Si presque un siècle plus tard, le phénomène s’est beaucoup amplifié, il touche toujours principalement, et les entreprises en sont aujourd’hui le meilleur exemple, le même profil de personne.
On oublie souvent l’origine historique de l’utilisation du français ou de l’anglais sur le sol d’Angleterre : l’anglais est la langue utilisée par les indigènes anglo-saxons lors du débarquement de Guillaume le Conquérant. Rappelons que l’armée d’invasion, puis de colonisation de l’Angleterre, était composée à la bataille d’Hastings, au centre de Normands, à gauche de Bretons, et à droite des différentes provinces françaises, Artois, Anjou, Picardie et Île-de-France. Comme tous les dialectes et patois, comme le berrichon, le bourguignon, l’auvergnat, l’anglais n’est qu’à l’usage des populations agricoles et ne possède qu’un vocabulaire utilitaire avec un nombre de mots limités. Par opposition, des langues comme le français, l’italien ou le provençal possèdent déjà à l’époque une fonction politique, littéraire, scientifique ou philosophique avec un vocabulaire adapté au travail de la pensée.
Après le débarquement et l’organisation de l’Angleterre par les seigneurs et chevaliers normands et français, le Pays fut linguistiquement et politiquement coupé horizontalement en deux : au-dessus l’aristocratie franco-normande parlant français, et en dessous la paysannerie anglo-saxonne parlant l’anglais. Les Anglais se plaignent ainsi d’avoir été tous bannis ou tués, réduits en servitude « sous la race étrangère des Français », qu’ils appellent aussi Romains. Les voyageurs danois du XIIe siècle sont habitués à n’entendre « retentir à leurs oreilles, dans les maisons des grands et des riches, que la langue romane de Normandie ». « En voyant les trouvères français...