La culture, un concept mal-aimé
OPINION. Production matérielle ou cognitive, fruit d’une civilisation ou d’un peuple, trace des époques dans l’histoire humaine… La notion de culture agite les discussions intellectuelles depuis des siècles et en clarifier le sens est essentiel pour éclairer nos débats contemporains.
Au pays des idées, au royaume de l’abstraction, il y a des notions très mal aimées, qui n’ont pas, ou que très difficilement, droit de cité. C’est tout particulièrement le cas de la « culture ». Après avoir eu beaucoup de mal à obtenir un statut d’objet parmi d’autres des sciences humaines, elle est devenue de nos jours le lieu d’une foire d’empoigne idéologique aussi véhémente que confuse. Loin de prétendre faire toute la lumière sur un sujet complexe et hautement polémique, nous tentons ici de jeter quelques jalons susceptibles de favoriser une réflexion, que d’autres, plus qualifiés que nous, pourront développer — du moins, c’est ce que nous souhaitons.
La « culture », entre impensé et tabou
Pendant très longtemps, l’idée de « culture » s’est vue confinée à son sens étymologique : un sens normatif et non descriptif, tout ce qu’il y a de plus inoffensif, exaltant un développement des facultés intellectuelles — une culture de l’esprit comme il y avait eu auparavant, dans l’itinéraire sémantique du terme, une culture de la terre.
Il a fallu attendre la fin du XIXe siècle pour qu’apparaisse en Europe une première définition descriptive, à caractère scientifique, du phénomène anthropologique de « culture ». Pourtant, son auteur, l’anthropologue anglais Edward B.Tylor, hésitait encore dans le choix des termes : par « culture » — « ou civilisation » —, écrivait-il en 1871, il fallait entendre « ce tout complexe qui comprend la connaissance, les croyances, l’art, la morale, le droit, les coutumes et les autres capacités ou habitudes acquises par l’homme en tant que membre de la société ».
Aujourd’hui encore considérée comme canonique, cette définition est assez générale pour englober tout un ensemble de productions humaines, sans différencier « culture » et « civilisation » — alors que cette dernière, elle, a tôt fait l’objet de multiples définitions : généralement, comme on pouvait s’y attendre, l’accent est mis...