Passé, présent... futur?
« Nous savons, maintenant, que nous sommes mortelles ! » Cette plainte que prête Paul Valéry aux Civilisations ne peut que résumer l’angoisse générale qui prend tout observateur de l’état présent du pays et du monde.
« Nous savons, maintenant, que nous sommes mortelles ! » Cette plainte que prête Valéry aux Civilisations ne peut que résumer l’angoisse générale qui prend tout observateur de l’état présent du pays et du monde. Quoi de plus terrible, en effet, que d’assister à la mort, de vivre la mort, de ce qui paraissait indestructible ? Voir s’écrouler devant soi le colosse aux pieds d’argile emplit forcément d’épouvante. D’une surprise un peu effarée, aussi : en être déjà là, et n’avoir rien vu ; n’avoir rien pu, surtout, pour enrayer la chute que maints signes, pourtant, annonçaient prévisible. S’imaginer là, demain, devant le gouffre que va forcément ouvrir l’ébranlement du monde après la chute d’un géant, debout sur le bord de l’abı̂me, sans oser même bouger de peur de précipiter le cataclysme qui va se précisant... Et s’interroger sombrement : pourrons-nous survivre ? Survivre à la perte de tout ce que nous aimions ? Et comment ? Et pour quoi ?
Pareilles pensées hantaient, à coup sûr, la tête des infortunés pris dans le marasme qui submergea leur République, il y a bien longtemps, plus de vingt siècles avant le nôtre, dans la Rome qui façonna, sans le savoir, l’univers où, jusqu’ici, nous vivions. Depuis plus de cent ans, les ambitions successives déchiraient la Ville qui avait conquis le monde et ne craignait plus de menaces autres que sur son propre sol, entre ses propres enfants. Mais c’étaient les pires, aiguisées par haines et jalousies personnelles rendant sanguinaires ceux à qui il était permis, à présent, de tout oser. Ceux qui auraient épargné l’ennemi inconnu terrassaient sans pitié le voisin. Dénonciations, condamnations signées par les puissants du jour qui ne seraient plus ceux du lendemain, ruisseaux de sang sur les pavés, terreur sans fond sous les toits de tous, quand l’espoir de voir se lever une aube...