culturePhilosophieFPContenu payant

"Philosophie politique" de Bruno Guigue : du Néolithique aux cités grecques

ENTRETIEN. Chercheur en philosophie politique, Bruno Guigue publie Philosophie politique (éd. Delga), un ouvrage érudit avec un objectif clair, repenser historiquement et réadapter aux enjeux présents les grands concepts philosophiques : justice,  force,  liberté, ou encore politique et morale. Première partie de cet entretien-fleuve : naissance de l’ordre politique, des sociétés primitives aux cités grecques.

/2021/09/bruno-guigue-philosophie-politique

Front populaire : Les penseurs modernes ont postulé l’état de nature pour mieux penser la société civile. Cet « état de nature » a-t-il réellement existé ?

Bruno Guigue : Non, l’état de nature est une fiction théorique. Les philosophes des XVIIe et XVIIIe  siècles inventent cet état primordial de l’humanité afin de promouvoir une certaine idée de l’homme. Ce n’est pas une description réaliste, mais un procédé analytique. Il s’agit de rendre compte des dispositions natives de l’homme, par exemple de sa propension à l’empathie, comme le fait Rousseau, ou de sa propension au conflit, comme le fait Hobbes. Chaque philosophe, en somme, prend parti dans ce débat anthropologique pour accréditer une conception de la société conforme à ce parti pris. La fiction de l’état de nature est censée rendre compte de l’homme originel, mais personne n’est dupe : c’est un artifice permettant de définir les fondements d’un ordre social légitime, car conforme à des dispositions supposément naturelles. Chez Hobbes, par exemple, l’égoïsme possessif de l’homme rend nécessaire l’institution d’un pouvoir absolu. Chez Rousseau, il s’agit de retrouver l’équivalent de la liberté et de l’égalité naturelles.

FP : Plusieurs types de sociétés primitives ont existé. Malgré leurs différences, quels étaient leurs points communs ?

Bruno Guigue : Dans la société primitive, l’égalité n’est pas affirmée sur le plan théorique, mais elle est effectivement mise en pratique. Ce n’est pas seulement une société frugale où les moyens sont ajustés aux besoins. C’est une société qui conjure le risque de sa propre division en imposant une stricte homogénéité des conditions d’existence. La seule division du travail, c’est celle entre les hommes et les femmes, mais aucun groupe ne s’érige en groupe dominant. C’est une société sans classes sociales, sans État, qui est à la fois égalitaire et conservatrice, car l’ordre dont elle se réclame n’est autre que l’ordre cosmique. L’osmose...

Vous aimerez aussi