David Cayla : « Les conditions d’un débat argumenté sur le néolibéralisme n’existent ni en France, ni en Europe »
ENTRETIEN. Dans l'étau entre le dogme néolibéral de l'Union européenne – et par là de la France – et les réalités géopolitiques actuelles, certaines voix proposent une nouvelle voie économique : l'eurokeynésianisme. De quoi s'agit-il, et pourquoi est-ce une piste à creuser ? Co-signataire de la tribune collective à ce sujet, initiée par le parti « L'Engagement » d'Arnaud Montebourg et publiée par Marianne, l'économiste David Cayla répond.
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David Cayla est maître de conférence en économie à l'Université d'Angers. Spécialiste du néolibéralisme, de l'économie européenne, et fin connaisseur de la question du protectionnisme, il défend une économie hétérodoxe. Son dernier livre en date : La gauche peut-elle combattre le néolibéralisme ? (éd. Le Bord de l’eau, 2024).
Front Populaire : Commençons par définir les termes : qu’entendez-vous par “néolibéralisme”, et dans quelle mesure s’oppose-t-il au keynésianisme avec lequel vous appelez à renouer ? Faites-vous une distinction entre néolibéralisme et ordo-libéralisme ?
David Cayla : Le néolibéralisme est la doctrine qui fut mise en œuvre après les chocs pétroliers des années 1970 et l’effondrement du système soviétique. Son idée maitresse est de soumettre l’économie aux forces des marchés en démantelant les mécanismes par lesquels l’État intervient dans l’économie. Les frontières économiques disparaissent au profit de la libre circulation des capitaux et des marchandises, les marchés financiers sont déréglementés, les services publics sont privatisés ou s’ouvrent à la concurrence, les politiques industrielles se voient remplacées par des allégements fiscaux et des mesures d’aides à la compétitivité, et la politique monétaire est ôtée du périmètre du pouvoir politique pour être confiée à des banques centrales sans supervision démocratique.
Le keynésianisme, au contraire, promeut une économie organisée autour des interventions de l’État. Ce dernier devient un acteur majeur des politiques industrielles. Il contrôle les flux de capitaux et de marchandises, investit dans les infrastructures, intervient sur les prix de l’énergie, réglemente les marchés financiers, et soumet les politiques monétaires à l’arbitrage démocratique. Le keynésianisme est une forme de capitalisme tempéré dans lequel l’État, donc le pouvoir politique, entend préserver les principes d’une économie de marché tout en s’autorisant des interventions discrétionnaires visant à préserver l’intérêt général.
À plus long terme, un véritable eurokeynésianisme nécessiterait une refonte globale des traités européens.
Il existe différentes formes de keynésianisme ou de néolibéralisme....