Alexandre Del Valle : « La Turquie est l’un des grands bénéficiaires de la recomposition géopolitique du Caucase »
ENTRETIEN. L'accord de paix signé le vendredi 8 août par l'Arménie et l'Azerbaïdjan sous la houlette des États-Unis rébat les cartes de la géopolitique du Caucase. Qui sont les grands gagnants et les grands perdants de cette opération ? Analyse en détail avec le géopolitologue Alexandre del Valle.
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Front Populaire : Deux ans après la guerre du Haut-Karabakh et après les événements de 2023, quelle est selon vous la situation réelle sur le terrain ?
Alexandre Del Valle : La situation sur le terrain est d’abord celle d’une défaite arménienne qui s’est consolidée en deux temps : la « guerre des 44 jours » de 2020 — qui a vu des combats intenses entre le 27 septembre et le 10 novembre 2020 et des pertes humaines estimées à plusieurs milliers, l’étude la plus précise évoquant environ 700 décès excessifs liés au conflit —, puis l’opération éclair de l'Azerbaïdjan des 19 et 20 septembre 2023, laquelle a abouti à la reprise du territoire et à l’effondrement des institutions locales pro-arméniennes, puis à l’exil massif des Arméniens du Haut Karabakh. Plus de cent mille habitants d’origine arménienne ont quitté le Haut-Karabakh en quelques jours à quelques semaines lors de la campagne de 2023, laissant la région sous contrôle azerbaïdjanais.
Front Populaire : Traditionnelement, le Caucase fait partie de l'espace d'influence russe. Quelle place la Russie occupe-t-elle aujourd’hui dans la région ?
Alexandre Del Valle : Sur le plan géopolitique, la responsabilité du recul russe est double : Moscou n’a pas pu ou voulu empêcher la dynamique militaire qui s’est imposée entre 2020 et 2023 malgré le déploiement, en 2020, de contingents de « peacekeepers » russes ; car la Russie se focalisait stratégiquement sur sa guerre en Ukraine depuis 2022 qui a considérablement réduit sa marge d’action et son prestige dans le Caucase, ouvrant un vide que la Turquie et désormais les États-Unis cherchent à combler.
Le résultat concret est que le rôle traditionnel de garant russe a été affaibli et que Moscou apparaît aujourd’hui en position secondaire dans ce dossier. J’ajoute que Vladimir Poutine n’a pas trop cherché à aider les Arméniens militairement dans le Haut Karabakh, car Moscou n’a jamais...