Arménie : la carte et l’eau
OPINION. L’évolution de la cartographie au cours des siècles permet de comprendre l’enjeu fondamental qu’a constitué l’eau dans l’histoire de l’Arménie et des conflits millénaires du Moyen-Orient.
Une raison prosaïque, à la fois géographique et hydrographique, a incité la Turquie moderne à éliminer tous les foyers d’État arménien ou d’État kurde susceptibles de s’approprier une partie du plateau anatolien. Cette raison saute aux yeux à la lecture des plus vieilles cartes géographiques qui nous ont été léguées. La raison c’est l’eau, l’eau qui sourd de tous les sommets anatoliens pour arroser le Moyen-Orient, qui s’écoule vers la Méditerranée et la mer Noire, vers la Caspienne et le golfe persique.
Le cartographe allemand Konrad Miller a reconstitué, en 1898, les planisphères de notre monde à partir des textes d’un théologien portugais, Paulus Orosius, qui vécut entre les années 385 et 420 apr. J.-C. et rencontra Saint-Augustin et Saint-Jérôme, et de ceux d’un moine cosmographe de Ravenne, resté anonyme, actif au VIIe siècle. Ces deux érudits avaient laissé d’importantes compilations de connaissances géographiques, prises dans Ptolémée d’Alexandrie, Pline l’Ancien, Strabon, Posidonius d’Apamée, Eratosthène, Virgile, Ambrosius Macrobius, Agrippa, Isidore de Séville.
La vision du monde d’Orosius et celle du moine de Ravenne étaient à trois dimensions, ou tripartite, c’est-à-dire composées des trois continents (Europe, Asie et Afrique) connus à cette époque, aux contours desquels baignaient les contrées océaniques, ceci sur une terre sphérique, conforme en cela à la conception antique, avant que l’Église n’en réfutât l’idée au motif qu’elle venait des païens et contrevenait aux Écritures. L’Extrême-Orient n’y figure pas, ni l’Afrique subsaharienne, pas plus que l’Europe septentrionale. Leur vision du monde, ou Weltanschauung, a pour centre la Méditerranée, notre Mare nostrum européenne. Petit aparté : on sait comment les cartes ultérieures réalisées par les cartographes européens se sont déplacées vers l’ouest de l’Europe, à l’image du centre de gravité géopolitique du continent, puis quand l’Occident se trouva à cheval entre l’Ancien et le Nouveau Monde, comment elles eurent l’océan...