Turquie Erdogan

Olivier Delorme : en Turquie, « la polarisation de l’électorat s’est résumée à un "pour ou contre Erdoğan" »

ENTRETIEN. Dimanche dernier, se tenaient les élections présidentielle et législatives en Turquie. Un scrutin attendu au tournant, puisqu’il pourrait mener, après le verdict des urnes à l’issue du second tour du 28 mai prochain, à la fin de l’ère Erdoğan. Analyse avec Olivier Delorme, auteur des trois tomes de La Grèce et les Balkans (Gallimard, 2013) et de 30 bonnes raisons pour sortir de l'Europe (H&O, 2017).

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Front Populaire : Le scrutin du 14 mai a été particulièrement serré, entre Recep Tayyip Erdoğan, qui brigue son troisième mandat consécutif, et son principal opposant Kemal Kılıçdaroğlu. Comment expliquez-vous la longévité politique et le score élevé d’Erdoğan (49,52 % des voix) ? Et que dit cette polarisation extrême du climat politique en Turquie ?

Olivier Delorme : L’ AKP, le parti d’Erdoğan, est au pouvoir depuis novembre 2002, et lui-même (il a été condamné en 1998 à une inéligibilité de cinq ans) a été Premier ministre depuis mars 2003 puis président de la République depuis 2014. Dans un premier temps, il a dû composer avec les contraintes imposées à la vie politique turque par les militaires depuis leur coup d’État de 1980 : son mentor, l’islamiste Necmettin Erbakan, avait ainsi été contraint à la démission en 1997 après un an de pouvoir.

Dans un second temps, à la faveur de complots plus ou moins imaginaires et de procès de type totalitaire, Erdoğan a éliminé tous ceux qui, dans l’armée, mais aussi dans la magistrature, la police, l’Université, le Barreau, et en grande partie dans les médias, étaient susceptibles de s’opposer à une réislamisation de la société qui s’est progressivement mise en place.

Dans un troisième temps, les cadres kémalistes ayant été révoqués ou emprisonnés, puis ceux de la confrérie Gülen, qui avaient d’abord fourni un personnel de remplacement, ayant subi le même sort, s’est mis en place un véritable « État-AKP », dans lequel la proximité avec le parti et la faveur du clan qui entoure Erdoğan conditionnent les carrières.

Enfin, le référendum constitutionnel de 2017, gagné de peu grâce à la fraude et aux communautés turques d’Europe occidentale, a entériné une évolution de plus en plus autoritaire du régime.

Cette évolution a été permise par cinq facteurs.

Il y a d’abord le charisme d’Erdoğan (on...

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