Géopolitique Souverainisme

Romain Bessonnet : « Pour Poutine, il n’y a pas de souveraineté sans puissance »

ENTRETIEN. Dans son dernier ouvrage Russie - Ukraine, deux peuples frères (éd. Jean Cyrille Godefroy), Romain Bessonnet a traduit et compilé l’ensemble des discours de Poutine au sujet de la relation russo-ukrainienne entre 2000 et 2022. Une mise en perspective sur laquelle nous l’avons interrogé.

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Front populaire : Dans notre monde de tweets, de commentaires et de petites phrases, nous avons perdu l’habitude des longs discours politiques. Vous qui avez une vision de long terme sur les discours de Vladimir Poutine, quels sont les grands enseignements que l’on peut en tirer ?

Romain Bessonnet : D’un point de vue structurel, Vladimir Poutine pense depuis toujours que les frontières entre les États slaves issus de l’URSS (Russie, Biélorussie, Ukraine) sont artificielles et l’existence de ces États est une blessure dans le corps du peuple russe causée par l’idéologie bolchevique avec laquelle il faut vivre et qu’il faut réparer.

D’abord (de 2000 à 2005), Vladimir Poutine a exprimé la thèse que les relations de marché et l’intégration économique seraient assez fortes pour maintenir liés les peuples ukrainien et russe. À cette époque, le chef de l’État russe ne trouvait rien à redire au rapprochement de l’Ukraine avec l’UE et l’OTAN. La Russie elle-même avait un dialogue intense avec ces deux blocs.

Un événement va fondamentalement changer cette politique : la « révolution orange » de l’hiver 2004-2005. En effet, ce mouvement est analysé comme un soutien direct des Occidentaux aux secteurs les plus russophobes de l’opposition ukrainienne (incarnés par le nouveau président ukrainien Viktor Iouchtchenko) afin d’implanter dans ce pays pas seulement une démocratie libérale, mais aussi un régime fondamentalement anti-russe, avec une réhabilitation du nationalisme ukrainien (y compris la partie ayant collaboré avec le IIIe Reich) et un durcissement de la législation linguistique contre la langue russe.

À partir de la révolution orange, on va constater un durcissement progressif de la vision du dirigeant russe : face à ce discours de rupture radicale entre l’Ukraine et la Russie par le pouvoir de Kiev, il va de plus en plus faire appel à l’histoire et à la culture commune.

Après l’élection de Viktor Ianoukovitch à la tête de l’État ukrainien, en 2010, avec un programme de détente linguistique vis-à-vis de la langue russe, de commémoration du sacrifice des combattants de l’armée rouge pendant la Seconde Guerre mondiale et de rééquilibre de la politique étrangère au profit de la Russie, Vladimir Poutine passe à une rhétorique faisant de l’Ukraine une partie intégrante du peuple russe. Cette conception est exprimée dans le discours à la grotte de Kiev du 17 juillet 2013, où V. Poutine mentionne la Russie baptisée dans le Dniepr et à Kiev et en appelant à la « Grande Russie ».

La « révolution de l’euromaïdan » du 22 février...

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