Internationalopinions

Trumpisme américain, tropisme européen

CONTRIBUTION / ANALYSE. L’Europe et la France se découvrent spectatrices d’un monde en mutation et accumulent les défaites sur tous les plans (militaire, diplomatique et économique). Face à un Trump fidèle à lui-même et à une Amérique recentrée sur ses intérêts, la France doit faire un choix : s’émanciper ou rester tributaire de rapports de force qu’elle ne maîtrise plus.

Trumpisme-americain-tropisme-europeen
Crédits illustration : ©Evan Vucci/AP/SIPA


Mezri Haddad est docteur en philosophie morale et politique de Paris IV-Sorbonne, ancien ambassadeur à l’UNESCO et directeur du Centre international de géopolitique et de prospective analytique (CIGPA). Dernier essai paru sur la guerre russo-ukrainienne, Du conflit de civilisation à la guerre de substitution, préfacé par Hubert Védrine, éd. JCG, 2022.


Si les Européens veulent gagner, ils doivent d’abord reconnaître qu’ils ont déjà perdu ! D’autres batailles sans doute plus décisives les attendent — pas forcément contre la Russie — et pour les gagner, il va leur falloir se remettre en question, revoir de fond en comble leurs réquisits autant philosophiques que politiques. Ils ont perdu de facto sur le plan militaire, nonobstant l’aide financière massive — dont Donald Trump exige à juste titre le remboursement — et logistique de « l’Occident collectif », pour reprendre cette expression au chef du Kremlin qu’il oppose au Sud global.

Ils ont perdu ipso jure sur le plan diplomatique, puisque les négociations russo-américaines ont commencé sans eux et que les résolutions bilatérales auront force de droit. Ils ont perdu a posteriori sur le plan économique, eu égard aux divinations triomphalistes de réduire en quelques mois à néant l’économie russe ; ce sont plutôt leurs économies qui sont en berne. Si choquant serait mon propos, ils ont a priori également perdu sur le plan axiologique, car, dans le narratif russe comme occidental, les enjeux de cette guerre n’étaient pas uniquement géopolitiques, mais résolument civilisationnels.

Ce conflit opposait, en effet, deux modèles de civilisation aux paradigmes radicalement antagoniques. D’un côté des démocraties à l’individualisme effréné, hyper-libertaires, hédonistes, déchristianisées, dénationalisées, en pleine crise morale et spirituelle, ouverte à leurs ennemis, comme disait Karl Popper. De l’autre, un régime russe autoritaire, dit liberticide et néanmoins populaire, hyper-souverainiste, en pleine exaltation nationaliste et renouveau orthodoxe, à l’instar d’ailleurs de l’indouisme...

Vous aimerez aussi