Ce qu'il reste de démocratie dans les démocraties dites libérales
CONTRIBUTION / ANALYSE. À la faveur des remous de l'actualité, les démocraties libérales commencent à agiter le marteau de la censure. La défense de la démocratie passerait-elle donc par l'abolition de la démocratie, et par là du peuple ? L'essayiste Anne-Sophie Chazaud, auteur de La liberté d'inexpression (éd. L'Artilleur, 2020), passe au tamis les modalités contemporaines de la muselière.
Dans la torpeur d’une fin d’été brûlante souffle avec violence sur les démocraties dites libérales le vent glacé de la censure. En effet, depuis quelques semaines et avec une accélération au cours des derniers jours, le monde qui se revendiquait bruyamment comme libre et défenseur des libertés est en proie à une vague inquisitoriale extrêmement préoccupante.
Il y a quelques années, lorsque j’engageai mon travail de réflexion sur les formes contemporaines de la censure (en France), je fis le constat d’un paysage dévasté. J’y constatais la redoutable articulation d’une tectonique censoriale généalogiquement issue de la Terreur révolutionnaire (Loi des suspects, « pas de liberté pour les ennemis de la liberté », etc.) et qui, sous les oripeaux du « progressisme » permettait d’instrumentaliser la justice en invoquant une obsessionnelle lutte contre des haines diverses et toujours plus variées au profit de ce qu’il est convenu d’appeler la « tyrannie des minorités ». Ce constat, qui me semble désormais presque classique, terminait par l’analyse, un peu hâtive me semble-t-il rétrospectivement, de la réactivation contemporaine d’une censure directement politique par le biais d’un certain nombre de procédés : reprise en main de médias par ailleurs idéologiquement acquis à la cause du pouvoir ainsi que financièrement soumis à cette même main qui les subventionne grassement, arraisonnement de la liberté de parole sans précédent – offerte le temps d’une décennie – par les réseaux sociaux, intervention du pouvoir dans l’édiction de la Vérité et narratif officiel sur tous sujets (dispositifs anti « fake news », lutte contre la prétendue désinformation, etc.). Ces dérives n'en étaient encore qu’à leurs débuts lorsque je concluais mon travail.
A la faveur des bouleversements informationnels, politiques, sociétaux et anthropologiques majeurs intervenus depuis la Grande Peste Pangoline et la mise sous surveillance sans précédent du « parc humain », pour reprendre l’expression du philosophe Peter Sloterdijk, que la gestion...