De quoi « l’affaire » Sylvain Tesson est-elle le nom ?
CONTRIBUTION / OPINION. Avec « l’Affaire » Tesson, nous passons à un stade supérieur dans la « culture de l’annulation ». Il n’est désormais question d’aucune plainte, d’aucune affaire de justice. Sa seule faute ? Penser ce qu’il pense.
Avec cette pétition publiée dans Libération exigeant l’ostracisme de Sylvain Tesson, jugé indigne de parrainer le Printemps des Poètes, la radicalisation effectue un tour de plus dans la gidouille ubuesque où s’enivre de lui-même un délire de pureté. Délire qui, on le sait, a d’abord saisi les universités d’outre-Atlantique pour ensuite rapidement contaminer nos lointaines provinces impériales. Nous avons affaire ici à une crise idéologique dont la généalogie remonte à Sartre, Foucault et Derrida, et en amont aux sectes protestantes. Une religion de « l’éveil » qui hallucine le réel comme étant surdéterminé par les rapports de domination. On notera au passage combien cette idéologie est elle aussi issue de la matrice libérale, considérant que la motivation de l’humain reste l’égoïsme. Le libéralisme classique pensait que la providence divine ferait de ce mal un bien, le bonheur général devant résulter de la somme des égoïsmes particuliers par la grâce d’une « main invisible ». À cet égard, le wokisme représente une sorte d’hérésie gnostique. C’est en définitive un mauvais démiurge qui organiserait le monde : l’homme blanc hétérosexuel.
Il s’agit dès lors pour les talibans du Wokistan de déjouer par une sorte d’extralucidité digne de Madame Irma tous les masques de la domination. Entreprise complexe quand elle se situait au niveau des penseurs de la postmodernité, mais dorénavant simplifiée et radicalisée par l’arasement militant pour aboutir à une énième resucée de la tabula rasa : puisque toutes les institutions sont suspectes, c’est tout l’héritage qu’il faut liquider. L’un des volets de cette entreprise est la cancel culture qui consiste à vouloir effacer de l’espace public toute figure, présente ou passée, qui ne soit pas en adéquation avec les dogmes progressistes d’aujourd’hui, centrés autour des questions de race et de genre. Éminemment symbolique, le déboulonnage de statues fait partie des activités favorites de tous ces Gardes Rouges...